Et voici que l’on reparle de
l’autorité à l’école. Campagne présidentielle oblige. On nous dit « il
faut rétablir l’autorité dans les écoles ». La mesure phare étant le port
de l’uniforme ou plutôt d’une « tenue vestimentaire spécifique ».
Comme si cette seule mesure pouvait venir à bout des problèmes de gestion des
classes et des comportements. Rétablir l’autorité perdue des enseignants
signifierait mettre à plat tout ce qui a contribué à sa disparition.
L’autorité est une condition
de base pour un enseignement efficace. Son absence donne des classes dans
lesquelles les apprentissages ne se font pas et dans lesquelles les élèves ne
sont pas en sécurité. C’est un fait avéré : l’enseignant, s’il veut être
le garant des apprentissages doit faire preuve d’autorité.Malheureusement, ce mot a très
mauvaise presse dans le milieu enseignant, comme dans la société en général. Il
est compris, à tort, comme le synonyme d’autoritarisme. La pire insulte qu’on
puisse faire à un enseignant est de le traiter d’autoritaire, cela est bien
pire que de l’accuser de ne pas parvenir à instruire les élèves. Voici le
résultat de plusieurs décennies d’une formation ayant passé la question sous
silence, d’une hiérarchie ayant tout fait pour saper cette autorité, qu’il
s’agisse d’autorité professionnelle ou morale. Néanmoins, on n’est pas à une
contradiction près dans l’Éducation Nationale, et, régulièrement, on entend
certains déplorer ce manque d’autorité dans les classes. Et l’on déclare qu’il
faut la rétablir. Malheureusement, l’autorité ne s’ordonne pas, elle est le
fruit de circonstances, qui, pour l’instant font défaut.
Mais, de quoi parle-t-on au
juste ?
L’autorité se décline sous plusieurs
formes. On se rendra compte en les examinant, que l’enseignant porte aussi une
part de responsabilité dans sa disparition. On peut se reporter sur la question
à l’ouvrage de Jean-Claude Richoz, Gestion de classes et d'élèves difficiles.
L’autorité de statut
L’autorité de statut
C’est une autorité de droit,
conférée par le pouvoir légal d’exercer une fonction. Elle est attribuée par le
diplôme d’enseignement. C’est elle qui permet d’avoir des exigences, de les
faire respecter en sanctionnant au besoin les transgressions. C’est aussi un
devoir et une responsabilité.Ce type d’autorité pose
problème aux enseignants qui refusent de se voir dans une position hiérarchique
par rapport à leurs élèves. Ce faisant, ils confondent autorité et
autoritarisme (abus d’autorité) et redoutent que ce statut les conduise à ne
plus être aimés ou appréciés de leurs élèves. Cette responsabilité exige que
l’enseignant se pose de manière convaincue en place hiérarchique car il a la
responsabilité de faire respecter les règles de fonctionnement de la classe, il
est garant de l’ordre et de la sécurité. L’idée de hiérarchie ne signifie pas, contrairement
à une idée reçue très simpliste, que l’enseignant considère les élèves comme
des êtres inférieurs ou des subalternes, c’est simplement une définition des
rôles de chacun. Cela est en complète opposition avec les positions de
l’éducation « nouvelle » qui place l’enfant comme un partenaire de
même niveau que l’adulte.
L’autorité de statut s’exerce
en s’appuyant uniquement sur la loi. On peut la comparer à celle de l’arbitre
de football. Elle ne devrait pas être optionnelle pour l’enseignant, elle fait
partie intégrante de la tâche d’enseignement et doit être assumée par tous.
Elle n’est absolument pas dégradante ni humiliante pour l’élève, dès lors que
les places de chacun sont clairement expliquées. Pour prendre un exemple,
lorsque je vais chez le médecin, son autorité de statut me rassure et je ne me
sens nullement humiliée de savoir qu’il a un pouvoir médical et professionnel
sur moi qui suis une patiente en attente de soins.
L’autorité
de compétence
Il s’agit de l’expertise
professionnelle possédée par une personne dans un domaine du savoir. Pour l’enseignant,
les deux piliers en sont la maîtrise des contenus à enseigner et le savoir
pédagogique. Elle facilite l’acceptation de l’autorité de statut. Elle est
aujourd’hui régulièrement remise en question par les parents d’élèves qui s’ingèrent
dans un domaine pour lequel ils n’ont aucune expertise : celui de la pédagogie.
Cette ingérence leur est permise depuis qu’ils sont statutairement considérés
comme des égaux dans la mission éducative, depuis qu’ils font partie des
Conseils d’écoles, et que leur avis compte autant que celui de l’enseignant y
compris sur les sujets relevant de la seule compétence professionnelle. Ce déni
de l’autorité de compétence est un frein supplémentaire à l’efficacité de
l’enseignement.
L’autorité
relationnelle
Appelée aussi autorité
personnelle, elle émane de la personne. C’est l’influence que peut avoir une
personne par sa présence, ses qualités relationnelles, son aptitude à
convaincre, à rassembler. Contrairement à une croyance, elle n’est pas innée
mais s’acquiert par le travail et l’éducation. Elle s’accompagne de respect,
d’empathie, d’écoute, de considération positive qui en font une véritable
autorité éducative. Elle consiste à développer une présence, à mieux
communiquer verbalement et non verbalement, à entrer en relation individuelle
avec les élèves.
Dans ce type d’autorité l’enseignant
ne doit pas oublier que le but est avant tout éducatif, et non narcissique. La
limite est parfois ténue entre ce type d’autorité, et le désir d’utiliser son
ascendant pour être aimé ou pour formater les esprits.
L’autorité
intérieure
C’est une autorité plus intime,
acquise par une personne sur son ego et sa personnalité. C’est une maîtrise de
soi qui permet de se contrôler quand par exemple des situations de classe
posent problème ou que surviennent des sentiments comme la colère, la peur,
l’irritabilité, le besoin de pouvoir, l’envie de plaire, le besoin d’être aimé.
On comprendra toute l’importance de cette forme d’autorité. L’enseignant, même
débutant, doit rester maître de lui-même, établir le recul nécessaire afin de
ne pas succomber aux réactions spontanées qui ne sont pas forcément réfléchies
et efficaces. En tant que maître à bord de la classe, l’enseignant doit garder
le contrôle, sans quoi il ne sera ni crédible, ni sécurisant auprès des élèves.
Cela est un principe de base du professionnalisme.
L’autorité
sociale
Un autre aspect est présent
également dans l’autorité, celui du statut de l’enseignant dans la société. Il
s’est notoirement dégradé lors des dernières décennies. L’une des raisons en
est le salaire. On est bien obligé de reconnaître que le statut d’une
profession est très lié à son salaire. Or en France, les enseignants sont
sous-payés par rapport aux autres pays européens. Cela contribue à expliquer l’attitude
de nombre de parents d’élèves qui n’ont plus aucun respect pour cette
profession et qui trop souvent en viennent même à la violence quand l’enseignant
ne va pas dans leur sens.
On comprendra donc que toutes
ces composantes complémentaires de l’autorité sont nécessaires pour établir en
classe un climat propice aux apprentissages et un environnement sûr, autant
pour les élèves que pour le professionnel. Elles doivent toutes être présentes,
il suffit que l’une d’elles soit défaillante pour saper la tâche de
l’enseignant. Or, si l’autorité intérieure et l’autorité relationnelle relèvent
de l’enseignant lui-même (à condition qu’il y ait été éduqué et formé) les autres
dépendent pour beaucoup de conditions externes : le rôle que l’on donne à
l’enseignant, l’ingérence d’autres personnes dans ses décisions et ses choix,
la place et l’image qu’il a aujourd’hui dans la société. Par conséquent, les
décideurs politiques auraient, s’ils le désiraient, la possibilité d’agir pour
que soit rétablie l’autorité à l’école. Par la formation des enseignants, par
la redéfinition des buts et des moyens de l’école et par le bannissement de
tout ce qui actuellement fait obstacle à cette autorité. Cela entraînerait de grands
bouleversements, peu compatibles avec les mentalités actuelles, et c’est sans
doute pourquoi les responsables éducatifs manquent de ce courage.
Voir aussi sur la question Teacher's authority (Anthony Radice)
Gestion de classes et d'élèves difficiles, J.C.Richoz
Gestion de classes et d'élèves difficiles, J.C.Richoz