C’est un truisme que de dire
que l’école élémentaire ne réussit pas. Mais essayons tout de même
d’approfondir un peu. Quand on évalue un fait, c’est toujours par rapport à un
objectif fixé au préalable. On parle d’efficacité ou de réussite quand les
résultats obtenus coïncident avec les objectifs annoncés. Or, dans le débat sur
l’école, il en va différemment. On déplore que les élèves soient peu instruits,
peu cultivés, qu’ils éprouvent de grandes difficultés à manier leur langue, à
calculer, à raisonner. Mais encore faudrait-il que cela soit le but premier de
l’école supposée les former. Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
De manière insidieuse, l’école
a modifié ses objectifs et ses priorités.
Avant même les années Jospin, l’État a décidé que le but essentiel de
l’école n’était plus l’instruction ; officiellement, il s’agissait de
former un citoyen éclairé, en utilisant d’autres moyens que l’instruction.
Celle-ci passait en arrière-plan et le peu qu’il en restait, utilisait des
moyens pédagogiques totalement inefficaces. Cela est arrivé sous couvert de
valeurs humanistes que nul ne peut contester ; en effet, qui peut s’opposer
à l’épanouissement personnel de l’enfant, au développement de l’estime de soi,
présentés comme incompatibles avec une école qui instruirait sérieusement.
La loi relative à l’éducation
de 1975 cite dans son article 1 comme premier but de l’école
« l’épanouissement de l’enfant ». La nouvelle politique pour l’école
primaire exprimée dans le discours du ministre en 1990 renonce au « savoir
encyclopédique minimal », autrefois fourni à l’école élémentaire, au
prétexte que désormais tous les élèves entrent au collège ; dès lors, il
s’agira seulement de les préparer à cette entrée, en leur fournissant des
méthodes de travail et en ouvrant leur esprit. 26 ans plus tard, on constate
que non seulement les élèves ont une culture déficiente lors de leur entrée au
collège, mais qu’ils n’ont ni ouverture d’esprit, ni esprit critique, ni savoirs
instrumentaux indispensables, pour reprendre une expression de l’époque. Par contre, on continue çà et là de déplorer cet état de fait, sans jamais
évoquer la cause véritable. Si les élèves ne réussissent pas, on évoque
plusieurs raisons : leur condition sociale, des enseignants n’appliquant
pas scrupuleusement les méthodes préconisées, la dureté de l’école qui
stigmatise les élèves et fait preuve de malveillance à leur égard, n'est pas assez ludique, une absence
de collaboration avec les parents d’élèves, avec le monde du dehors, ou les
collectivités locales…
Aujourd’hui, le nouveau
projet d’évaluation des enseignants, que la ministre veut absolument faire
passer avant la fin de l’année, en est une preuve supplémentaire. Entre autres choses, la grille d’évaluation
des enseignants, qui contient 11 items, donne une idée en quelques lignes du
changement cardinal qui s’est opéré, dans les objectifs de l’École et
par conséquent dans le rôle de l’enseignant. Cela signe la disparition de notre
métier originel qui était d’enseigner et d’instruire les élèves. Le nouvel
enseignant de la nouvelle école n’a plus pour occupation principale d’instruire
ses élèves dans sa classe selon une méthode pédagogique choisie par lui. Il est
contraint au travail d’équipe, il est soumis à diverses pressions aussi bien
des parents d’élèves, de la hiérarchie ou des élus locaux. L’enseignant n’est
pas évalué sur son aptitude à instruire efficacement les élèves mais sur
diverses autres aptitudes éloignées de l’acte d’enseigner mais qui, dans
l’avenir, seront celles de ce nouveau métier.
Nous sommes en campagne
électorale et les débats sur l’enseignement sont un passage obligé pour tous
les candidats. Cela est normal au vu de l’importance de la question et des
budgets engagés par l’État. Comme chaque fois, chacun va focaliser sur un point :
qui sur le retour à l’école de grand-papa, qui sur le numérique, qui sur plus
d’innovation, qui sur l’ouverture au monde, qui sur l’uniforme, bref ce sera à
nouveau un grand bazar plus ou moins heureusement agencé, un déballage
d’éléments de langage que l’on répétera à l’envi dans lequel se mêleront
détails censés marquer les esprits ou mantras humanistes. Mais ce n’est pas sur
cela qu’un candidat doit disserter. Non, il doit expliquer ce que doit être
l’institution École pour lui, à quoi elle doit servir, développer ses
objectifs, généraux et particuliers et quels outils utiliser pour y parvenir.
Cela ne semble pas un exercice très difficile si ses idées sont claires. L’École
est-elle là pour développer l’estime de soi des enfants, les rendre heureux le
temps qu’ils y restent, leur apprendre un métier, leur dire le vrai et le faux,
le bien et le mal, lutter contre les injustices sociales ? Et si quelqu’un
tout simplement décidait que l’École est là pour instruire les élèves
efficacement ? Car l’instruction est la voie vers la liberté et
l’autonomie du futur citoyen. Car elle est la voie royale vers le raisonnement
et l’esprit critique ; elle est un rempart à toute manipulation, ce qui à
l’époque que nous vivons n’est pas un luxe. Une enquête récente révèle que les
collégiens n’ont pas l’esprit critique et font preuve d’une naïveté
consternante prêtant crédit à tous les documents qui se présentent à eux.
Avant de débattre des
méthodes pédagogiques, il faut débattre sur les ambitions et les conceptions de
l’École. L’École actuelle a abandonné l’ambition d’une instruction efficace de
tous les élèves. Alors peut-on lui reprocher de n’y point parvenir ? Toutefois, cela ne veut pas dire que l’École d’aujourd’hui réussit selon ses propres
critères : elle échoue aussi dans le développement personnel, l’estime de soi,
l’esprit critique, les comportements citoyens. Non seulement les élèves n’ont
plus les connaissances et les habiletés nécessaires pour aborder la scolarité
secondaire, mais ils n’ont aucun esprit critique, ont une mauvaise estime de
soi, des comportements violents et les vertus citoyennes ne font guère partie
de leurs univers.
Les résultats du TIMSS
2016 pointent les énormes difficultés des élèves français en mathématiques et nous
montrent l’urgence de remettre à plat les objectifs de l’école. Sans une véritable
révolution de fond, qui réassignerait à l’école des objectifs d’instruction, il
ne faut guère espérer d’amélioration des performances. Cela ne sera possible que grâce à une forte
volonté politique et le courage d’aller à contre-courant d’une pensée dominante
malheureusement solidement enracinée dans les mentalités. Mais grâce aussi à l’aptitude
si exceptionnelle aujourd’hui, de regarder la réalité en face et de tenir compte
de toutes les données probantes permettant une amélioration des résultats.