L’Éducation Nationale a des
mantras : l’innovation en est un. Depuis des lustres, il est admis que la
solution aux nombreux problèmes de baisse du niveau passe par l’innovation
pédagogique. Les projets dits innovants sont fortement encouragés, financés et
montrés en exemple, non par leurs résultats mais par leur essence même. Une
nouvelle catégorie d’enseignants est née : les enseignants innovants.
Bref, de l’innovation en soi.
Comme si le principe de nouveauté équivalait par définition à celui
d’efficacité. En aucun endroit vous ne trouverez de rapports sur l’impact de
ces innovations sur les apprentissages, ni sur le rapport entre le temps passé et les résultats,
ni sur le sort réel et mesuré des élèves en difficulté dans ce genre d’activité.
Penchons-nous donc sur ces
expériences montrées en exemples. J’en ai constitué un échantillon, ce n’est
pas un inventaire exhaustif mais il permet de se faire une idée. On constate
qu’il y a des thèmes récurrents, des catégories. D’abord, se trouvent les
incontournables, qu’on pourrait appeler les « invariants de l’innovation » : des activités que l’on
encourage depuis des décennies : les ateliers Montessori, la conception et la représentation
de pièces de théâtre, de courts
métrages, d’émissions radio, de groupes musicaux, l’apprentissage par
situations complexes, la suppression des notes, les randonnées à vélo. On
devrait à mon sens les qualifier plutôt de « traditionnelles ». Il y a ensuite les activités liées aux dernières modes
qu’elles soient pédagogiques ou plus largement dans l’air du temps : on y
trouve en bonne place la classe inversée, le voyage des mascottes à travers
l’Europe (apprentissage des langues) ainsi que des « pratiques
innovantes d’égalité entre les sexes au sein de Cap Brésil 2014 pour emmener
filles et garçons assister à la coupe du monde de football ». Apprendre mieux par le jeu est aussi
une vieille lune ; dans cette catégorie toujours prisée, on trouve la
création de jeux vidéo, les maquettes en légo, la « gamification ou
utilisation des jeux en contexte international ». Mais l’air du temps est
aussi au numérique et aux réseaux
sociaux, supposés sauver non seulement l’École mais la société entière. Twitter
figure en bonne place, mais on trouve aussi des actions telles que « la
réalisation d’un logiciel de direction de navire dans une course au long
cours », les blogs de classe ou d’élèves (euh ! disons plutôt,
« mise en place de situations d’écriture porteuses de sens »), les
musées virtuels Pinterest, les livres numériques… Et puis une catégorie inclassable, ô combien
savoureuse. Jugez par vous-mêmes : « empêchements clownesques »,
« une nuit à l’école », ou « café des parents en ligne ».
Arrêtons-là cette pittoresque énumération. Si vous voulez en voir davantage
visitez le 7ème Forum des enseignants innovants.
Les fantaisies énumérées
ci-dessus, on l’aura compris, n’ont rien d’innovant, sauf à faire remonter
l’innovation aux années 70. Mais ce n’est pas le plus grave. Par quelle
opération le principe de nouveauté de l’action pédagogique pourrait-il,
indépendamment des processus mis en œuvre et de l’impact cognitif sur les
élèves, améliorer les acquisitions ? En quoi l’élève, confronté à une
action pédagogique jamais encore réalisée par son enseignant puisque nouvelle,
apprendra mieux ? Quels mécanismes efficaces sont alors mis en œuvre dans
son raisonnement, sa mémoire ? Cela relève de la pensée magique, ni plus
ni moins.
Loin de moi l’idée de rejeter
toute idée pédagogique innovante. Mais les élèves n’étant pas des rats de
laboratoire, l’éducation étant une chose sérieuse, on ne peut pas honnêtement
considérer d’emblée comme efficaces des méthodes ou projets qui ne donnent pas
la preuve tangible d’une amélioration des apprentissages. L’innovation doit
être encouragée dans la mesure où son seul
but est d’améliorer les résultats des élèves et où elle est capable de rendre
compte de cette amélioration. Les projets énumérés ci-dessus devraient être
réservés à des activités hors temps scolaire. Le temps scolaire est trop
précieux pour être utilisé à des projets incertains voire loufoques. L’amélioration
du niveau des élèves doit passer par une utilisation de méthodes ou de projets dont
l’efficacité est avérée.
Alors, qu’est-ce qui aujourd’hui serait
une véritable innovation ? Ce serait l’utilisation des données probantes
appliquées au champ éducatif avec recours dans les classes aux méthodes
efficaces. Ce serait un parti pris novateur car encore jamais envisagé :
les données viendraient remplacer l’approche idéologique. De plus, ce serait
une garantie d’efficacité : on ne proposerait aux élèves que des démarches
et actions sans risque pour eux et profitables au plus grand nombre.
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