Alors que tous les observatoires témoignent de la baisse
incessante du niveau des élèves, alors que les enseignants le constatent dans
leurs classes, notre ministère invente une « commission
des fournitures scolaires ». Le but annoncé : réduire la charge financière
des parents et celle du poids du cartable.
L’intention est noble et quoi de plus normal que de redire le
principe de gratuité de l’école ; il est en effet notoire que dans certains établissements
secondaires, les demandes sont parfois extravagantes. Je suis personnellement
attachée à la gratuité de l’école publique.
Ce n’est donc pas le rappel de ce principe qui a attiré mon
attention mais les moyens utilisés pour le mettre en œuvre. Nous sommes au cœur de l’univers de Boulghakov quand
il raillait les comités et autres sous-comités de l’époque soviétique.
Comment s’y prend le ministère ? Il fournit un catalogue
modèle de fournitures à partir duquel devront
être établies les listes des classes, lesquelles devront être constituées de
« produits triables et recyclables ». Mais il ne s’agit pas de
laisser chaque enseignant ou chaque école ou établissement décider. Qui
sont-ils pour avoir un tel pouvoir décisionnel ? Et surtout, pourquoi
faire simple quand on peut faire compliqué, principe magistral des décideurs de l’Éducation Nationale.
L’élaboration de cette liste, en vertu des principes
démocratiques devra découler d’une concertation afin de « prendre en
compte les préoccupations des différents acteurs de la communauté
éducative ». Ici encore, l’hypocrite principe de concertation, ayant largement
prouvé son efficacité depuis la loi Jospin, se trouve perpétué, quoi de plus prévisible.
Prenons l’exemple du primaire. Avant même l’élaboration de la
liste, il faudra communiquer aux parents les principes sur lesquels elle
repose. Ensuite, il est vivement recommandé de constituer une « commission
des fournitures scolaires » composée d’enseignants et de parents ; ce
doit être un véritable « espace de concertation et de dialogue »
devant « faciliter les échanges entre tous les acteurs ». Cette liste
sera également examinée en conseil des maîtres ou conseil de cycle. Puis la
commission siègera en Conseil d’école pour communiquer sa liste. Du moins,
c’est ce que les vides du texte laissent à penser ; il n’est pas spécifié
que le conseil d’école doit entériner par un vote. Dommage, cela aurait
introduit une complication en complète harmonie avec l’esprit de la
Refondation.
Il y a une lacune énorme dans ce texte : les
municipalités. Les communes financent les écoles primaires. Par conséquent, ce
qui n’est pas acheté par les parents, devra être fourni par la municipalité. Par
ce texte, le ministère communique positivement à l’égard des parents d’élèves.
Je pense que c’est là son seul but mais c’est aussi là que le bât blesse. En
effet, chaque commune reste libre de
décider de sa politique à l’égard de l’école. C’est ainsi qu’il y a une
situation éminemment injuste sur le territoire national ; certaines écoles
sont très bien nanties et d’autres beaucoup moins. Une commune peut très bien,
pour des raisons x ou y, décider de consacrer une portion congrue à son école. Les exemples seraient légions.
Alors que d’autres en feraient une priorité. Même si les moyens matériels ne
font pas tout dans la réussite scolaire, ils contribuent à créer des conditions
favorables. Est-il juste que dans certaines écoles, les élèves aient chacun un
manuel scolaire récent, propre et que dans d’autres ils en aient un pour deux
ou de mauvaises photocopies ? Est-il juste que certaines écoles jouissent
d’équipements informatique dernier cri et d’autres se contentent d’ordinateurs
récupérés ? Est-il juste que dans certaines écoles du sud, en fin d’année,
les élèves passent la journée dans des classes à plus de 35 ° derrière des
baies vitrées alors que d’autres classes sont climatisées ?
Une fois de plus, l’État affiche des intentions et ne se
donne pas les moyens de les mettre en œuvre, trop inquiet d’être impopulaire
auprès de certains. S’il avait vraiment
la volonté de diminuer les charges des familles, il pourrait :
Imposer ses propres listes (impopulaire auprès des
enseignants)
Obliger les territoires à financer (impopulaire auprès des
élus)
Veiller à ce que l’allocation de rentrée scolaire[1]
soit utilisée pour financer la rentrée scolaire. Bien souvent, la somme n’est
pas utilisée pour financer la rentrée des enfants. (Impopulaire auprès des
parents d’élèves).
Il y aurait bien une autre solution : que les
enseignants financent eux-mêmes ces fournitures. Curieux que nul n’y ait encore
pensé …
En tout cas, une fois
de plus, preuve est faite que le choc de simplification n’est pas pour demain
dans l’éducation et que le principe d’efficacité n’a pas pénétré les bureaux
feutrés de la rue de Grenelle.
Sur la gratuité à l'école, vue du côté des enseignants voir aussi: http://explicitementvotre.blogspot.fr/2013/02/le-don-de-gratuite-dans-lenseignement.html
[1] En 2015 pour un enfant de 6/10 ans,
362,63€ ; pour un enfant de 11/14 ans, 382,64 € ; pour un enfant de
15/18 ans, 395,9 €.