C’est
peu dire que les neuromythes sont très répandus dans l’enseignement. Et ce, en dépit des preuves en montrant le
caractère erroné. Norman Baillargeon, entre autres, en a fait le sujet d’un
ouvrage très intéressant, Légendes pédagogiques.
Je
m’attarde aujourd’hui sur le mythe relatif au programme Brain Gym[1] après
avoir parcouru une publicité reçue dans notre école…
C’est un programme déjà ancien puisqu’il date des années 70, il
fut mis au point en Californie par P.Dennison. Le principe soutient que des
exercices moteurs spécifiques améliorent les apprentissages, on parle d’apprentissage par le mouvement ou de kinésiologie éducative. Que l’on ne s’y
trompe pas : la terminologie à consonance médicale n’est pas une garantie
de sérieux, nous en sommes bien loin. Les
mouvements proposés sont au nombre de 26, ils sont
supposés stimuler les trois dimensions du corps et du cerveau :
latéralité, centrage et focalisation. Ils doivent aussi favoriser :
l’attention, l’écoute, la coordination, le balayage visuel, la compréhension
écrite, la compréhension orale, la mémoire courte, moyenne et longue, le
repérage dans l’espace et dans le temps, le stress lié à l’école. A lire cette
publicité, on apercevrait presque le bout du tunnel … Un exemple vous éclairera
sans doute. Toucher le genou droit avec le coude gauche et le genou gauche avec
le coude droit doit « activer les deux hémisphères du cerveau, favoriser
la circulation des informations entre eux, entraîner une meilleure
concentration ».
Bien entendu, la communauté scientifique s’est penchée sur ce
programme et elle a été unanime : c’est une pseudo-science, dans la mesure
où elle ne s’appuie sur aucune étude rigoureuse, le consensus parmi les
scientifiques est aujourd’hui établi. En 2008, 13 chercheurs britanniques ont
sonné l’alarme et diffusé aux autorités éducatives une note les prévenant de
l’absence de fondement scientifique dans l’outil Brain Gym, ainsi que du manque
de preuve quant à son efficacité pour les apprentissages scolaires. De même, l’organisation
Sense about Science, qui a pour but, dans divers domaines, de démythifier certaines
croyances, sur des bases scientifiques, a livré ses conclusions sur le programme en
argumentant point par point. Prenons un exemple précis : l’un des 26
éléments du programme BG consiste à masser deux points nommés pour la
circonstance Boutons cérébraux, situés
sous les clavicules de part et d’autre du sternum, pendant que l’autre
main est posée sur le nombril. Cela est supposé : « activer le
cerveau pour envoyer des messages depuis l’hémisphère droit vers le gauche, mieux l’oxygéner, stimuler la
carotide afin qu’elle fournisse plus de sang au cerveau, augmenter le flux
d’énergie électromagnétique ; » Voyons ce qu’en dit le professeur
David Attwell, neuroscientifique : « Il n’y a aucune preuve que le massage de ces zones améliore le passage
des signaux de l’hémisphère droit vers le gauche. La seule manière pour que le
cerveau reçoive plus d’oxygène serait de faire augmenter le flux de sang ;
stimuler le sinus carotidien conduit à une chute de la production cardiaque et
potentiellement, moins d’oxygène atteint le cerveau. Le massage de ces points ne génère pas d’énergie électromagnétique, que
ce soit sous forme de lumière, de chaleur ou d’ondes radio. »
Sont également réfutées les explications fantaisistes relatives
au fonctionnement du corps humain par BG
telles que : « L’eau est un excellent conducteur d’énergie
électrique … Boire de l’eau active le cerveau pour un stockage plus efficace et
une meilleure récupération des données. » Chacun sait que l’eau est un
très mauvais conducteur électrique, elle ne conduit l’électricité que
lorsqu’elle contient des métaux en dissolution. Autre exemple, l’affirmation selon
laquelle, travailler avec des objets électroniques (ordinateur, tablette,
télévision) déshydraterait le corps. Rien ne l’a jamais montré ; ce n’est
pas plus déshydratant que de travailler sur un support papier.
Les militants de la kinésiologie, et de Brain Gym en
particulier, ont un système de communication au point. Il est très facile,
moyennant plusieurs centaines (voire milliers) d’euros ou de dollars de devenir
professionnel et de pouvoir s’installer comme consultant, animateur et de
diffuser ainsi cette pratique ...
En 2009 , le gouvernement britannique a mis en
garde les écoles en soulignant que Brain Gym était qualifié de non scientifique dans un grand nombre de revues spécialisées et faisant
autorité dans la recherche en neuroscience et en éducation. Néanmoins, ni le
bon sens, ni les réfutations scientifiques n’ont encore eu raison de ces
balivernes qui ont franchi la porte des
écoles dans de nombreux pays. Les États Unis bien sûr, le Canada, où la méthode
s’est aussi récemment implantée. Au Royaume Uni, en 2008, on évaluait à plusieurs
centaines le nombre d’écoles, surtout élémentaires, ayant intégré ce programme
à leur enseignement. Dans l’ensemble, les observateurs ont remarqué que les
enseignants qui utilisent ou ont utilisé ce programme disent qu’il semble
améliorer les résultats mais ne parviennent pas à illustrer leurs propos de
données concrètes. Si effet placebo il y a, il se situe dans la tête des
enseignants.
Nous devons nous interroger sur ce phénomène d’adhésion
inconditionnelle en dépit des avertissements des scientifiques, questionnement
qui vaut bien sûr pour toutes les autres légendes pédagogiques. C’est un
fait : les enseignants n’ont pas de scrupule à utiliser des méthodes dont
l’efficacité est mise en cause. Le meilleur exemple en l’adhésion généralisé au
modèle constructiviste que les données ne placent pas au rang des méthodes
efficaces. Ou bien la croyance autour de pédagogies prenant en compte les
styles dominants d’apprentissage. Les exemples seraient légions. Est-ce à dire
que les enseignants sont des sots ? Non. À leur décharge, ces mythes sont
séduisants et font volontiers appel à des idées débordantes d’humanisme et contre
lesquelles il est difficile de résister. Le vernis pseudo-scientifique, les
titres ronflants exhibés par les professionnels font le reste. De plus, les
enseignants qui succombent aux sirènes de la gymnastique cérébrale ou autre faribole sont ceux qui s’intéressent au fonctionnement du cerveau et
s’auto-forment en quelque sorte ; le bouche à oreille aidant, les réseaux
sociaux, il y a plus de chance qu’ils achèvent leur parcours sur le site de Brain
Gym que sur celui de Stanislas
Dehaene ou Daniel Willingham
pour n’en citer que deux.
Si cela est possible, c’est parce les enseignants n’ont pas été
formés comme des professionnels. Même si la recherche neurocognitive appliquée
à l’enseignement est récente, il est choquant de constater que les enseignants
n’en sont pas tenus au courant par la formation continue obligatoire. Que
dirions-nous si les médecins n’avaient pas un accès facilité aux conclusions de
la recherche en temps réel et s’ils ne
tenaient pas compte des dernières avancées dans leur pratique professionnelle ?
Les enseignants n’ont reçu dans leur formation initiale aucune culture
scientifique relative à la recherche en cours, à ses résultats, à leur
interprétation, bref aucun sens critique professionnel. Ne nous étonnons pas
par exemple, que n’importe quelle expériencette
de classe sur une vingtaine d’élèves, ait autant de poids que les résultats du
Follow Through par exemple. Je n’ai encore jamais trouvé de formation continue
proposant par exemple un état de la recherche sur l’efficacité des méthodes
pédagogiques. Par conséquent, les enseignants, de fait, ne sont que les
victimes d’un système de formation qui ne les a pas équipés des moyens
d’exercer leur métier correctement. La formation initiale comme continue
n’accorde aucune place aux données probantes, aucune place à l’état de la
recherche, surtout quand elle va à l’encontre de l’idéologie dominante en
éducation. Alors qu’il est donné comme ambition de développer l’esprit critique
chez les élèves, leurs enseignants n’ont pas été formés à l’esprit critique
professionnel. Les enseignants qui malgré tout, sont curieux d’en savoir plus
sur le fonctionnement du cerveau, s’auto-forment et tombent immanquablement sur
ces neuromythes qui eux, sont largement diffusés. Ils n’ont pas le réflexe ni
les moyens d’aller plus avant et de se renseigner sur la validité des choses.
Au Royaume Uni, une enquête
(Wellcom Trust) a montré que les enseignants intéressés par l’utilisation des neurosciences en classe
y sont venus grâce au bouche à oreille : pour 53% de l’institution, pour
41 % de collègues, pour 30 % de conseillers professionnels. Par contre, peu d’enseignants
cherchent à se renseigner sur le bien-fondé des méthodes basées sur les neurosciences :
9 % le font à l’occasion de conférences, 5% par la presse éducative spécialisée
et 17% par d’autres médias éducatifs.
La persistance de ces légendes pédagogiques discrédite la
véritable neuroscience qui, elle peut beaucoup apporter pour améliorer l’enseignement ;
ce faisant, c’est de l’eau au moulin des détracteurs des données probantes en
éducation. Le seul remède serait une refonte totale du métier d’enseignant, une
reprofessionnalisation qui s’appuierait sur une formation sérieuse au terme de
laquelle tout enseignant serait capable de distinguer le bon grain de l’ivraie
en matière d’outils et de méthodes. Encore faudrait-il que les décideurs
acceptent les données probantes. Nous en sommes encore loin.