L’un
des problèmes pédagogiques les plus fréquents pour les enseignants est l’oubli
chez les élèves. Tous, nous déplorons l’oubli d’un jour à l’autre, d’une
semaine à l’autre, d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre. Parfois, à
l’entrée dans leur nouvelle classe, certains élèves semblent vierges de toute
acquisition ou en tout cas s’en rapprochent, au grand désespoir des enseignants
qui les ont eus comme élèves l’année précédente.
Tout
cela a une explication. Il faut se pencher sur le fonctionnement du cerveau lors
des apprentissages. Qu’il s’agisse de connaissances ou d’habiletés, apprendre
signifie installer un certain nombre d’informations en mémoire à long terme. Si
rien n’a changé en MLT, alors rien n’a été appris.
La
réponse se situe essentiellement dans la pratique. Bien entendu, il ne s’agit
pas de faire l’impasse sur la compréhension et les explications, mais sans
pratique cette étape préalable reste vaine. Hélas, pendant les dernières
décennies, nous enseignants, avons été victimes d’un mythe consistant à croire
que toute pratique abêtissait les élèves et les transformait en perroquets
idiots (c’est le fameux Drill and Kill
des anglo-saxons). Que cela entrait dans une vision mécaniste de l’école
destinée à abrutir les élèves et à en faire des citoyens dociles et soumis,
dépourvus de toute autonomie de pensée et d’esprit critique. Plus un mensonge
est gros, plus il fonctionne et c’est bien ce qui s’est produit. On a donc
banni toute forme de mémorisation et toute forme de pratique d’entraînement.
Voyons
donc pourquoi cela est un mythe. Pour qu’une habileté devienne automatique il
faut une pratique, au-delà du point de maîtrise. Pourquoi vouloir l’automatisation
des connaissances et habiletés ? Si elles sont automatisées, elles ne
solliciteront pas la mémoire de travail dont la capacité en contenu est
limitée, et la laisseront disponible pour le raisonnement. Par exemple, si l’élève
butte sur le déchiffrage des mots, il ne pourra pas consacrer sa mémoire de
travail à la compréhension. La pratique doit être soutenue et nourrie :
fréquente, variée avec réutilisation des connaissances déjà acquises. Tout ce
qui a été appris doit être réutilisé le plus souvent possible.
Malgré
tout, les chercheurs se sont aperçus que les sujets étudiés étaient bien vite
oubliés une fois passée l’échéance de l’évaluation ou de l’interrogation. Même
des questions bien maîtrisées lors de l’évaluation sont oubliées. C’est
pourquoi ils préconisent d’étudier au-delà de la maîtrise. C’est ce que l’on
appelle le surapprentissage. Cela est une mesure visant à empêcher ou tout au
moins à diminuer les effets de l’oubli. Ainsi, un sujet d'étude pratiqué pendant un semestre ou une année sera retenu correctement pendant environ une année après la dernière pratique mais l'essentiel sera oublié après 3 ou 4 ans, en l'absence de pratique supplémentaire. Par contre, un sujet étudié pendant 3 ou 4 ans pourra être retenu jusqu'à plusieurs dizaines d'années après la dernière pratique.
Un
autre mythe consiste à croire que les experts ont un talent inné, ou une
intelligence supérieure. L’observation du fonctionnement des experts nous dit
le contraire. L’importance de la pratique chez les experts a été mise en
évidence à plusieurs reprises par les scientifiques (en particulier Bloom 1985
mais aussi De Groot avec son travail sur les maîtres au jeu d’échecs). Les
experts, quel que soit leur domaine d’expertise, ont une pratique bien plus
abondante que celle des non experts, associée à une farouche volonté de
travailler dur. La célèbre phrase d’Edison prend ici tout son sens : « Le
génie, c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration. »
Quelles
formes revêt la pratique en Enseignement Explicite ?
Tout
d’abord, la pratique concerne les habiletés et connaissances de base, c’est-à-dire
celles qui sont enseignées à l’école primaire. La
pratique n’est ni du jeu, ni une performance en soi, son seul but est l’amélioration.
Cela doit être expliqué aux élèves et rappelé lorsqu’ils réussissent. La
pratique nécessite la concentration ; l’enseignant met tout en œuvre pour
la susciter (Voir tout ce qui concerne la Gestion de classe). Mais elle nécessite aussi des efforts. Les élèves y sont initiés
et associés et d’une manière générale, les efforts fournis toujours liés aux
résultats obtenus.
Toute
pratique, qu’elle soit guidée ou autonome (voir le schéma des leçons en
Enseignement Explicite) est accompagnée de feedback, les corrections se font
immédiatement, afin d’éviter que les erreurs ne cristallisent dans l’esprit des
élèves. Outre
les moments de pratique inclus dans le déroulement des leçons, la pratique
prend la forme :
- De rappels lors de la vérification des connaissances préalables.
- De révisions : hebdomadaires, mensuelles.
- De séances de fermeture quotidienne (en fin de journée, faire l’inventaire de tout ce qui a été appris dans la journée).
- De mémorisation systématique (textes, vocabulaire, tables, poésies…) qui doivent être faites à la maison, faute de pouvoir être faites à l’école. Cela est indispensable et on aura beau tourner dans tous les sens la question du travail à la maison, force est de constater que tout ne peut pas se faire à l’école. Sauf à amputer considérablement les programmes.
- De rappels ponctuels et occasionnels. Par exemple, rappeler l’usage du passé composé lors d’un exercice d’écriture.
- De justifications des réponses.
La
pratique est fréquente et variée : cela veut dire qu’il n’est pas question
d’asséner des répétitions ou des exercices au kilomètre pendant des heures,
cela serait contre-productif. Je parle ici de rappels brefs, variés mais
toujours à propos.
L’Enseignement
Explicite par sa structure même, possède les outils pour obtenir une
mémorisation de qualité. Bien entendu, pour une efficacité maximale, il
faudrait que toutes les classes d’une école suivent ce même modèle. D’une part,
cela renforcerait l’efficacité au niveau des résultats en général, mais aussi cela
ferait de la pratique une habitude routinière tout en installant chez les élèves l’habitude des efforts de
mémorisation. Les élèves venant de classes dans lesquelles ce type d’enseignement
est dispensé ont évidemment beaucoup plus de facilités pour mémoriser de
manière durable. Ils savent déjà ce que l’on attend d’eux, connaissent les
moyens pour y parvenir et se contentent de poursuivre ce qu’ils ont commencé
les années précédentes. Je parle bien sûr de l’effet-école. Il est néanmoins difficile
à mettre en œuvre dans nos écoles en raison de la liberté pédagogique
individuelle.
Pour
en savoir plus sur les arcanes de l’oubli, voir les articles de D.Willingham [1]
sur la question, en particulier, « La
pratique conduit à la perfection — mais seulement si vous pratiquez au-delà du point
de perfection. »
[1] Que vous pouvez consulter sur Form@PEx http://www.formapex.com/sciences-cognitives/786-les-chercheurs-en-sciences-cognitives