Les pratiques pédagogiques constructivistes ont
été imposées depuis plusieurs années dans de nombreux pays, bien que leur
validité repose sur un postulat de départ erroné, lequel est le fruit de la
confusion entre apprentissage et enseignement. S’il est bien vrai que l’on
apprend en construisant soi-même ses savoirs, on ne peut affirmer a priori qu’en
appliquant ce modèle à la pratique d’enseignement, les apprentissages se feront
mieux. Calquer le modèle d’enseignement sur celui de l’apprentissage n’était
qu’une hypothèse de départ, c’est-à-dire qu’elle aurait dû subir des études conduisant
à l’admettre comme correcte ou à l’écarter. Comme dans toute démarche
scientifique. Or, il n’en a rien été, elle est passée du stade d’hypothèse à
celui de vérité, sans passer par les étapes communément admises en recherche et
décrites dans la taxonomie d’Ellis & Fouts. Cela pose une fois de plus la question de la
place des données probantes en enseignement.
Néanmoins, il y a un réel consensus sur l’idée que
l’élève construit activement ses connaissances et que cette tâche est liée aux
connaissances antérieures possédées en mémoire à long terme ; les
divergences entre constructivistes et instructionnistes apparaissent quand il
s’agit de méthodes d’enseignement. Les constructivistes vont se centrer sur
l’apprenant, vont vouloir recréer chez lui les conditions de construction, en proposant
des activités complexes et authentiques, en relation avec les expériences
propres des élèves. Selon eux, les connaissances ne sont pas supposées pouvoir
être transmises directement, elles sont censées être construites par le sujet ;
dans ce contexte, le rôle de l’enseignant devient celui d’un facilitateur accompagnant
le sujet dans ce travail de construction ; l’enseignant n’enseigne plus,
il guide.
Les instructionnistes et tout particulièrement les
partisans de l’Enseignement Explicite, considèrent que le modèle d’enseignement
n’est pas forcément calqué sur celui de l’apprentissage ; ils s’appuient
pour cela sur les travaux relatifs à l’architecture cognitive. Nombre d’études
ont montré que les principes explicites (importance des pré requis,
explications, cheminement du simple au complexe, pratique, sur-apprentissage…)
sont en accord avec ce que l’on sait aujourd’hui du fonctionnement cognitif. C’est
ainsi par exemple que l’automatisation des connaissances de base permet de
libérer la mémoire de travail pour se tourner vers les aspects plus complexes
de la tâche requise. De la même manière, partir du simple pour aller vers le
complexe de manière progressive respecte les limites de la mémoire de travail
(limitée en temps et en contenu) et évite la surcharge cognitive. Quand on met
les élèves directement en situation de complexité, ils n’ont pas les moyens de
résoudre le problème, en particulier ceux qui sont en difficulté ; cela
les met en échec, leur provoque du déplaisir à la tâche scolaire et nuit à leur
estime de soi.
Par-delà le postulat de départ erroné de la
théorie constructiviste, les travaux du psychologue Geary ont montré qu’il
existe deux types de connaissances, celles qu’il nomme primaires et celles
qu’il nomme secondaires. Les premières relèvent des apprentissages naturels
tels qu’apprendre à marcher, à parler, à reconnaître les visages … ; elles
sont universelles et se font de la même manière chez tous les peuples, quels
que soient leur niveau de développement, leur culture. Elles se font de manière
inconsciente et naturelle. Les connaissances secondaires, elles, représentent
tous les savoirs culturels, donc artificiels, tels que savoir lire, calculer
etc. Tout ce que l’on apprend à l’école. Ces connaissances-là ne peuvent s’acquérir
naturellement ; elles doivent être enseignées de manière explicite et
structurée. Un enseignement peu guidé ne convient pas à ce type de
connaissances.[1]
La théorie constructiviste fait comme si ces
travaux n’existaient pas et comme si les connaissances de type secondaire
pouvaient s’acquérir naturellement au même titre que les connaissances
primaires.
Bien sûr, l’idée est séduisante ; qui ne
rêverait pas d’apprendre naturellement, sans s’en apercevoir, sans effort, sans
douleur, sans travail ? Mais ce n’est qu’une belle idée et elle le restera
tant que personne n’en aura montré la validité. Cela sera très difficile étant
donné que nombre de travaux ont déjà prouvé la validité d’autres hypothèses
comme par exemple celle de l’efficacité d’un enseignement guidé, explicite et
structuré. Cela fait très longtemps que l’on demande aux enseignants de
travailler selon des méthodes inefficaces tout simplement parce que ce sont les
idées, voire les opinions, qui tiennent lieu de gouvernail alors que ce devrait
être les données probantes.
Sur la question on pourra lire l’article très
complet de C.Gauthier, S.Bissonnette et M.Richard Passez du paradigme d’enseignement au paradigme d’apprentissage. Les effets néfastes d’un slogan.
[1] Voir http://www.formapex.com/formpex#rechp Pourquoi un enseignement peu guidé
ne fonctionne pas : une analyse de l’échec de l’enseignement
constructiviste, et autres pédagogies par découverte, par situations problèmes,
par expériences et enquêtes (Paul
A.Kirschner, John Sweller, Richard E.Clark)