« Les
enfants sont stressés », sous-entendu, par l’école et par la course à
la performance qu’elle exige. Voilà une idée fort répandue aujourd’hui. Il est
très à la mode d’utiliser ce mot pour diverses situations. Il signifie une
tension nerveuse provoquée par de multiples causes dont les plus connues sont
les pressions liées au travail, les exigences de performance, etc. On
l’employait au début pour des adultes uniquement. Maintenant, on découvre que
les enfants aussi sont stressés.
Plutôt que stress qui renvoie à une hypothétique pression exercée
par l’école, je préfère parler pour les enfants (du primaire) de troubles du comportement,
qu’en effet on ne peut pas ignorer. Ils se manifestent de diverses
manières :
-agitation permanente,
-réactions violentes,
-insatisfaction,
-incivilités,
-non respect des règles,
-énormes difficultés de concentration,
-tendance à « zapper » d’une pensée à une autre ou d’une activité à une
autre, y compris dans le cadre d’activités ludiques et récréatives.
Ce type de comportement, curieusement, s’est accentué alors que l’école
devenait un lieu d’épanouissement et de plaisir. L’école d’antan, autrement
plus dure sur le plan de la discipline et sur celui du rapport aux résultats,
ne connaissait pas un tel phénomène.
S’il est difficile de repérer les causes de cet état de fait avec
précision, il y a à mon sens trois axes de réflexion : le statut de l’enfant
dans la famille, le statut de l’élève dans l’école, et enfin la place du savoir
et de l’école dans la société.
C’est un truisme de dire que le statut de l’enfant dans la famille a
changé. L’enfant roi n’est toujours pas déchu : l’enfant au sommet de la
pyramide familiale, celui à qui l’on apprend « qu’il peut tout avoir et
qu’il a droit à tout »[1], qui ne doit absolument pas connaître
la frustration, ni l’effort, ni les règles … Cet enfant ainsi non
éduqué aura du mal à se plier aux règles de l’école et à tous les efforts
qu’il faut faire pour apprendre, aussi minimes soient-ils. Cet enfant ne
comprendra pas qu’à l’école, tous ses besoins ne peuvent être satisfaits
immédiatement. Cette différence entre son vécu familial et son vécu scolaire
lui pose problème, crée un conflit. Voilà donc un point important si ce n’est
le plus important, dans les comportements à problèmes à l’école. Cela ne
facilite pas la tâche de l’enseignant qui doit alors consacrer beaucoup plus
d’énergie à transformer les enfants en élèves afin que les apprentissages se
fassent au mieux.
Le statut de l’élève dans l’école a lui aussi changé. Les pédagogies
d’après 70 ont mis l’élève au centre, en faisant le bâtisseur de ses propres
connaissances. Elles ont aussi voulu faire de l’école le prolongement de
l’extérieur, un lieu de vie et de plaisir avant tout, pensant que les
apprentissages scolaires pourraient mieux se faire ainsi. C’est ainsi que l’enfant
roi de l’extérieur s’est transformé en élève roi. De plus, on a
cessé d’avoir de hautes ambitions pour les élèves en termes d’apprentissages,
préférant niveler par le bas. Résultat : les élèves ont perdu l’habitude de
faire des efforts, d’adopter un comportement propre à l’étude. La plupart des
parents d’élèves se sont laissés convaincre quand on leur disait par exemple
que le développement naturel de l’enfant était tel qu’il ne fallait pas
s’inquiéter si leur enfant n’apprenaient pas à lire en CP. Le déclic se ferait
quand l’enfant serait « mûr » pour cela. Voilà comment peu à peu on a
construit une école centre de loisirs, peu exigeante quant aux résultats et ne
se donnant pas les moyens d’en avoir.
Enfin, dans la société actuelle, il faut bien reconnaître que le savoir
n’est plus un passage obligé : dévalorisation des diplômes, chômage… Ainsi, de
nombreuses familles ne considèrent pas l’école comme la voie royale pour
l’avenir de leurs enfants. Quand l’école n’est pas valorisée dans la famille,
quand les études sont dénigrées, quand les savoirs sont dépréciés, l’enfant va
ressentir l’école comme une contrainte, avec toutes les conséquences
comportementales que cela peut entraîner.
Ce qui m’attriste le plus aujourd’hui est cette espèce d’insatisfaction
permanente que présentent les élèves. Insatisfaction propre aux gavés qui en
veulent toujours plus ; insatisfaction propre à ceux à qui l’on n’a jamais fixé
de règles ; insatisfaction propre à ceux qui ignorent le sens du mot effort.
Mais puisque c’est d’école qu’il s’agit, ce serait certainement à l’école de
remédier à cela, au moins en partie : en étant exigeante envers les élèves, en
les tirant vers le haut, et en se donnant les moyens (notamment
pédagogiques) d’obtenir de meilleurs résultats pour tous.
Que tant d’enfants présentent les troubles décrits ci-dessus n’est pas
une fatalité, ce n’est pas non plus les exigences scolaires qui en sont la
cause, mais plutôt la concomitance d’une non éducation parentale alliée à une
démission de l’école dans sa mission d’instruire véritablement tous les enfants
qui lui sont confiés.