Auteurs : Jean-Paul Caille et Fabienne Rosenwald
INSEE
11.2006
11.2006
Cette
enquête de l’INSEE pose la question de l’échec scolaire et de ses
raisons. Plusieurs facteurs apparaissent, le plus important étant le
rôle joué par la scolarité primaire dans le devenir des élèves, en
particulier avant le CP. C’est bien l’école primaire qui doit fournir
impérativement les bases, sans lesquelles la scolarité secondaire n’est
pas possible.
1 / Les facteurs intervenant à l’entrée au CP et en Élémentaire
• Les élèves ne sont pas tous égaux devant les apprentissages, les aptitudes personnelles variant d’un individu à un autre.
L’école doit avoir cela en mémoire et donner des opportunités à tous
les enfants, sachant que chacun réussira selon ses spécificités propres.
• Le milieu social
a aussi son importance. Nous savons très bien que les enfants de
familles favorisées culturellement, réussissent mieux. Face à cette
injustice sociale, il faut bien admettre que l’école ne remplit pas son
rôle, puisqu’elle n’arrive pas à donner un niveau correct aux enfants
défavorisés. Ce qui est corroboré par les conclusions sur les ZEP : en
fin de primaire les acquis sont moindres en ZEP, en français et
mathématiques. Cela peut aussi nous interroger sur la débauche de moyens
accordés aux ZEP et les résultats obtenus. Conclusion : Et si tout cela
ne se limitait pas à une question de moyens matériels ? Et si on se
questionnait par exemple sur les méthodes pédagogiques, sur le pouvoir
des enseignants, sur leur autorité, sur leur liberté pédagogique ? En
complément de cela, et toujours en lien avec les familles, il faudrait
ajouter un point que l’enquête n’aborde pas : le degré d’implication des
parents dans la réussite scolaire de leurs enfants, indépendamment de
leur milieu ou de leur culture. Nous constatons année après année une
démission énorme des parents en matière éducative comme en matière
scolaire, et ce n’est pas le fait unique des milieux défavorisés. On
voit des parents qui n’accompagnent absolument pas le travail, qui vont
dans un sens opposé de ce qui est demandé, qui exigent des bonnes notes
pour leurs enfants. Des parents qui n’ont aucun sens des réalités, et
qui dans les cas extrêmes, provoquent la “démission” de l’enseignant.
Des parents qui considèrent l’école comme un service “clé en mains”,
confiant l’enfant avec méfiance afin qu’il soit gardé et heureux, qu’il
ait de bons résultats, mais sans jamais prendre le relais à la maison.
• La scolarité en maternelle
: Un mauvais départ a peu de chances de se transformer en réussite au
cours de l’élémentaire. Le résultat aux évaluations de 6ème est le
reflet de celui des évaluations de début de CP. Là, nous mettons le
doigt sur un point douloureux. En effet, si un enfant arrivant en CP a
un niveau faible, ce n’est pas seulement à cause de la fatalité sociale
ou de ses propres déficiences. L’école maternelle, et en particulier la
Grande Section, doit effectivement être un marchepied pour le CP. Des
enquêtes ont montré l’importance de cette classe pour tout ce qui doit
préparer à la lecture, comme la conscience phonémique et le travail sur
l’oral. La GS est une classe où se font des apprentissages importants,
déterminants pour la suite, comme le montre cette enquête. Ce n’est pas,
comme on l’a souvent entendu et vu, un lieu exclusif de socialisation.
La Maternelle doit retrouver son importance, et en particulier la classe
de GS. S’il y a un progrès à faire, c’est bien là qu’il se situe, avant
le CP.
2 / La progression pendant la scolarité élémentaire et au-delà
Entre le CP et le CM2, les progressions sont liées au milieu social et
familial. Cette étude montre que les enfants de familles nombreuses
réussissent moins bien, et ont un niveau moindre quand ils arrivent au
CP. Pendant la durée de l'Élémentaire, on remarque aussi une
différenciation entre filles et garçons, les filles étant meilleures en
français et les garçons en mathématiques. Différence expliquée par
l’intériorisation des stéréotypes sociaux, modèle dont on nous dit qu’il
est également acquis par les enseignants.
Les élèves qui ont eu un
niveau faible à leur entrée au CP, auront une mauvaise scolarité
élémentaire et arriveront avec un faible niveau en 6ème. Le problème est
d’autant plus grave que cela est alors rédhibitoire. Ni au collège, ni
au lycée ils ne pourront rattraper leur retard. Au lycée, 81 % des
écarts de réussite sont apparus avant le collège. Voilà qui met en
exergue la responsabilité de l’école élémentaire et tout
particulièrement celle de l’école maternelle, trop longtemps passé sous
silence. Il faut garder à l’esprit que ni le collège, ni le lycée, ne
sont capables de remédier aux échecs amorcés en Primaire.
3 / La question des redoublements
Le
constat sur la baisse des redoublements (une baisse de moitié en 20 ans)
n’est pas le fruit d’une amélioration du niveau, mais simplement celui
des injonctions officielles. Le redoublement est considéré comme
inutile, voire néfaste (surtout coûteux pour l’institution) ; faire
redoubler un élève aujourd’hui est le véritable parcours du combattant,
et c'est très mal vu par la hiérarchie. L’enquête n’a pas étudié sur ces
20 ans les variations du niveau en 6ème. Cela aurait permis sans doute
de constater les “améliorations” !
Cette quasi-disparition des
redoublements a profité aux élèves de milieux défavorisés, nous dit-on,
mais l’enquête montre que leur niveau ne s’est pas amélioré pour autant
et que les écarts persistent tout de même. Tout est dans le sens du mot
“profité”. Le bon sens voudrait qu’un élève redouble quand il a des
difficultés, et que le faire passer malgré tout ne résoudra pas ses
problèmes. La classe supérieure va lui proposer de nouveaux
enseignements qu’il ne pourra pas faire siens, car il ne pourra pas les
agréger à ceux du niveau inférieur qu’il ne possède pas.
L’enquête
affirme donc que le redoublement, qu’il soit tardif ou non, est inutile
en terme de résultats en 6ème : seulement un quart des redoublants ont
de meilleures évaluations.
Trois remarques à cela :
1. On peut
bien sûr mesurer et observer les comportements des redoublants. Mais
doit-on pour autant extrapoler que s’ils n’avaient pas redoublé ils
auraient été meilleurs ? Depuis que l’on ne fait plus (ou pratiquement
plus) redoubler, on aurait dû noter une amélioration des résultats en
6ème. Or ce n'est pas le cas.
2. Si cela profite à un quart des redoublants, c’est déjà bien. On ne peut donc pas proclamer l’entière inutilité.
3. Puisque l’on a supposé que les enfants ont tous des aptitudes
spécifiques et différentes, et puisque le redoublement n’est pas la
solution pour tous, cela conduit à imaginer que certains enfants
devraient être orientés dans des filières plus spécifiques à leurs
individualités (les trois quarts à qui cela ne sert pas de redoubler).
L’enquête rebondit sur la possibilité de mettre en oeuvre des
aménagements dans la classe pour les élèves en difficulté (PPRE). Cela
veut dire que ces élèves manqueraient une partie de l’enseignement
dispensé en classe, et que donc tout n’est pas utile dans cet
enseignement. Cela veut dire aussi du personnel supplémentaire et
qualifié pour s’occuper de ces enfants-là. Les enseignants de terrain
savent bien que tout cela est également inutile et les résultats plus
que douteux.
4 / L’âge d’entrée à l’école
Les
enquêteurs se sont interrogés sur l’âge de l’entrée en Maternelle et ont
mesuré l’impact d’une entrée à l’école dès 2 ans, sur le plan scolaire.
Il s’est avéré que ces élèves-là arrivent en CM2 avec un niveau
identique aux autres. Et aux évaluations de 6ème , ils ont des résultats
identiques aux autres (avec même un très léger désavantage, un item sur
100). Le bénéfice scolaire d’une scolarité dès 2 ans n’est donc pas
montré. Mais cette question, souvent soulevée, n’est pas scolaire. Les
partisans de la scolarité à 2 ans y voient une façon de mettre en place
des garderies gratuites et généralisées pour tous, et ne parlent en
aucune façon d’intérêt relatif aux apprentissages scolaires.
5 / Les enfants nés en début d’année
Enfin, cette enquête détruit le mythe des enfants nés en début d’année
en montrant que leurs résultats ne sont pas meilleurs et que l’avantage
qu’ils avaient en début de CP est vite perdu pendant la scolarité.
Une enquête intéressante, qui a le courage de s’attaquer à certaines
réalités. Et qui devrait susciter un questionnement de fond sur l’école
Primaire, en commençant par sa partie Maternelle. Il est absolument
anormal que des élèves arrivent en CP en ayant déjà du retard, alors
qu’ils sont à l’école depuis l’âge de 3 ans, et parfois celui de 2 ans.
Ces années cruciales devraient donner aux enfants, issus de milieux
défavorisés en particulier, ce qui culturellement et linguistiquement
leur manque à la maison. En l’état actuel des choses, l’École n’est
profitable que pour ceux dont les parents peuvent pallier ses
insuffisances.