Le billet qui suit est la traduction d'un texte d'Anthony Radice, publié sur son blog.
Différenciation pédagogique. Cela
sonne bien. Cela est toujours présenté de telle sorte que quiconque s’y oppose
passe pour un monstre insensible. En effet, qui refuserait d’optimiser les chances
pour chaque enfant ? Qui refuserait un enseignement à la carte pour chaque
élève, en fonction de ses besoins propres ? Si vous êtes hostiles à la
pédagogie différenciée, vous êtes taxé de personnage autoritaire détestant les
enfants ou alors simplement d’un individu qui ne comprend rien aux enfants.
Mais,
c’est justement parce que nous voulons que chacun reçoive le plus d’attention
possible et progresse le mieux, qu’il faut s’opposer à la pédagogie
différenciée. Celle-ci est l’un des éléments constitutifs du mouvement général
qui veut une école individualisée ou personnalisée. Cela semble merveilleux :
un programme taillé sur mesure, adapté parfaitement aux besoins et intérêts de
chacun. Néanmoins, il s’agit de l’un des mythes les plus destructeurs dans
l’éducation. Voici pourquoi.
Premièrement,
un simple calcul. Si un enseignant s’occupe d’un élève, il ne s’occupe pas des
29 autres dans la classe. Dans un cours de 60 minutes, chacun peut alors bénéficier
de 2 minutes d’attention, et être laissé tout seul pendant les 58 autres
minutes. Alors qu’en enseignement de classe, toute la classe est guidée par
l’enseignant et reçoit un enseignement pendant les 60 minutes. Autrement dit,
toute la classe reçoit bien plus d’enseignement que lors d’un enseignement
individualisé.
Une
séance en classe entière bien conçue anticipe toutes les questions susceptibles
d’être posées par tous. Comparons ceci avec la situation dans laquelle
l’enseignant se déplace dans la salle de classe répondant à la même question
des douzaines de fois, à la demande de chacun. Alors que vous répondez aux
questions individuelles, le reste des élèves est inoccupé car ils attendent
pour avoir eux aussi leur réponse individuelle. Ou alors, ils cessent
d’attendre et s’occupent autrement.
Puis
il y a la question de la progression. L’apprentissage personnalisé est intrinsèquement
incohérent. Si vous voulez enseigner un programme cohérent, il faut procéder de
manière systématique, selon une progression spécifique, afin de construire des
savoirs cumulatifs année après année. Si chacun a un programme personnalisé
taillé sur mesure selon ses besoins et intérêts, alors il est impossible de
procéder ainsi. Un programme cohérent aide chacun à progresser de plusieurs
manières. Concentrons-nous par exemple sur l’apprentissage du vocabulaire.
Le
vocabulaire s’apprend mieux en immersion. Quand toute la classe étudie un sujet
sur une certaine période, tous les élèves sont exposés fréquemment aux mots
nouveaux dans des contextes significatifs. Ainsi, ils commencent à percevoir
les multiples sens des mots. Les divers sens d’un mot ne peuvent pas s’acquérir
par une définition trouvée dans une liste de mots ou dans le dictionnaire.
Chaque professeur d’anglais a eu connaissance de résultats cocasses quand les
élève essaient d’utiliser un mot trouvé dans le dictionnaire. L’utilisation est
rarement appropriée parce qu’ils n’ont pas la compréhension des connotations et
des façons de l’employer.
Un
programme enseigné à toute la classe, au cours duquel tous les élèves écoutent
les explications, lisent les documents ensemble et dans lequel chacun est
engagé dans une pratique orale bien conçue, des discussions de classe, une
pratique écrite et exercices de contrôle, sera très profitable à toute la
classe, mais surtout aux élèves les plus faibles. Au début, ils ont un
vocabulaire pauvre. Mais en les exposant régulièrement à un vocabulaire nouveau
dans des contextes significatifs, ils seront capables de rattraper leurs
camarades moins en difficulté. Cela se
passe ainsi quand on enseigne à toute la classe un programme cohérent. Cela se
passe si et seulement si les mythes néfastes de la pédagogie différenciée ont
été dissipés.
La différenciation empêche
l’enseignant de travailler efficacement avec toute la classe. Ainsi cela nuit à
tous, mais les premières victimes sont justement ceux à qui cela est supposé
servir. Les élèves en difficulté sont ceux qui ont le plus besoin d’un
enseignement cohérent, et cela est rendu impossible par les approches
pédagogiques individualisées.