Bernard Appy, sur son blog, faisait récemment le bilan
sur les 10 ans que nous avons passés, lui et moi, à promouvoir l’Enseignement
Explicite. Étant maintenant à quelques encablures de la cessation d’activité, moment
tant attendu où je vais pouvoir enfin passer en « mode
contemplatif », je propose ci-dessous de vous présenter ce que
personnellement l’Enseignement Explicite m’a apporté, ce qu’il a changé dans le
cours de ma propre carrière et pourquoi il doit absolument figurer dans la
formation des enseignants si l’on veut une amélioration de notre école publique.
La connaissance que j’en ai acquise repose bien sûr sur l’auto-formation, les pédagogies efficaces n’ayant jamais été au programme dans la formation des enseignants, et ce, depuis fort longtemps. Cela m’a permis dans un premier temps de me professionnaliser, au sens où l’entend Clermont Gauthier, c’est-à-dire être capable de choisir les moyens d’enseignement les plus efficaces, au regard des résultats de l’expertise. La formation que j’avais suivie du temps lointain des Écoles Normales n’était déjà pas professionnalisante et se contentait d’inculquer des pratiques inefficaces mais tellement séduisantes sur un plan idéologique. Comme quoi rien n’a changé sous le soleil. Cette auto-formation m’a permis d’avoir des actions pédagogiques spécifiques tout en étant capable de savoir pourquoi elles portaient leurs fruits. Mes premières années d’enseignement, faites de nombreux remplacements et postes difficiles furent, professionnellement, un chemin inconsistant que j’empruntais sans conviction aucune et avec ce sentiment de plus en plus pesant que j’allais dans le sens inverse de celui qu’il aurait fallu emprunter pour être utile aux élèves. Je me livrais à des activités fumeuses et autres projets échevelés que j’emballais dans le jargon en cours, et c’était très bien selon ma hiérarchie. De cela, je ne suis pas fière. Mais au fond de moi, je savais que ce n’était qu’une sombre mascarade.
La découverte de l’Enseignement Explicite a été, égoïstement, une révolution dans ma pratique de classe et m’a donné une motivation
professionnelle que je n’avais jamais connue auparavant. C’est d’ailleurs une
réaction que l’on retrouve dans beaucoup de témoignages : redonner goût au
métier et y prendre plaisir. Dans ses discours, l’Éducation Nationale, prône
aujourd’hui la bienveillance, sauf pour son personnel ; à aucun moment
elle ne s’interroge sur l’importance d’avoir des enseignants bien dans leur
métier et profondément motivés. Pas plus qu’elle ne s’interroge sur les raisons
de la désaffection du métier et des nombreux abandons en cours de route, dont
elle tait soigneusement les chiffres. Dans les conditions actuelles du métier,
avec la multiplication des contraintes administratives et paperassières, avec
l’ingérence des parents d’élèves, des collectivités locales, avec des réformes
qui accentuent les écarts entre les élèves et alourdissent inutilement la tâche
des enseignants, si au moins l’enseignant pouvait jouir du plaisir d’utiliser
des méthodes efficaces, ce serait déjà un bon point. Quand les résultats
tangibles sont là, en classe, quotidiennement, alors l’enseignant connaît une
satisfaction personnelle. Je souhaite à chacun d’eux de connaître un jour ce
plaisir professionnel : aborder sa classe sans crainte, totalement sûr de
ses actions pédagogiques et par
conséquent beaucoup plus disponible pour l’écoute et l’observation des
réactions des élèves. Je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a plus de
difficulté, ni de challenge ; mais quand on utilise l’Enseignement Explicite,
les difficultés prennent une autre dimension, elles ne sont pas insurmontables
et l’enseignant est capable d’y faire face. Cela fait une sacrée différence.
Voilà qui constitue déjà un grand pas. Mais il ne faut pas oublier que
l’Enseignement Explicite, même s’il est aujourd’hui sorti de la clandestinité,
n’est toujours pas proposé en formation et, selon les circonstances, peut être
mal vu par une hiérarchie souvent conservatrice, beaucoup plus encline à
encourager les archaïques et inefficaces pratiques constructivistes. Il faut
donc être sacrément motivé et capable d’argumenter pour persister. Personnellement,
si je n’ai jamais eu de difficulté particulière, c’est je pense car les
inspecteurs, dont beaucoup tout de même sont des personnes sensées, ont
constaté que les élèves apprenaient, même si les moyens que j’utilisais
n’étaient pas toujours à leur convenance. Comme celui-ci, dont je tairai le
nom, qui rédigea un rapport très positif mais ne put s’empêcher de l’introduire
par cette phrase, que j’ai longtemps ressassée : Le travail de Mme Appy, bien que
de facture classique, donne entière ... Que de non-dit lourd de sens dans cette simple
conjonction de subordination. Mais je ne peux évoquer la hiérarchie sans
mentionner une autre inspectrice, appelons-la Michèle, extrêmement
professionnelle qui, non seulement a découvert de visu l’Enseignement Explicite
dans ma classe, mais en a tout de suite évalué le potentiel et l’a fait
connaître dans sa circonscription.
Du côté des parents d’élèves, l’Enseignement Explicite est en général
très bien accepté ; ils en apprécient la simplicité de mise en œuvre et
surtout l’idée de savoir dans quelle direction vont les enfants, ce que l’on
attend d’eux avec précision. Ils sont aussi sensibles à l’idée que c’est une
méthode qui ne va laisser personne de côté. La clarté de cette méthode fait que
les parents intéressés peuvent suivre sans problème la progression et le
travail et peuvent accompagner plus efficacement. Même les plus réticents au
départ, une fois l’année scolaire écoulée, en redemandent.
Les élèves quant à eux, sont bien sûr les premiers gagnants, car les
apprentissages leur sont désormais plus clairs. Ils savent à chaque étape
ce que l’on attend d’eux et comment y parvenir. Ils parviennent à progresser et
cela les encourage à persévérer ; ils savent se comporter scolairement et
acquièrent des comportements utiles. Même les plus en difficulté progressent et
cela est une motivation interne essentielle. La motivation des élèves ne réside
pas comme on nous le fait croire dans des artifices liés au vécu de l’enfant ou en les persuadant qu’ils jouent au lieu de travailler, non, la motivation pour
les apprentissages repose sur la réussite, issue des efforts. Efforts bien
réels mais adaptés au potentiel des élèves. Par conséquent, tout élève devient
donc capable d’apprendre et de progresser.
Au bout de quelque temps que vous pratiquez et constatez les effets mentionnés
ci-dessus, vous commencez à éprouver le besoin d’en parler et de faire
connaître cette pratique à d’autres. C’est d’abord par Internet, qui peut aussi être un outil
formidable, que nous avons commencé, Bernard et moi, puis par le canal
associatif avec la 3ème Voie. L’enthousiasme était à son comble au
début, et nous ne comptions ni notre temps ni notre argent pour expliquer et
convaincre. Ce furent de belles années, riches en rencontres et en échanges.
Les chercheurs canadiens Gauthier, Bissonnette et Richard nous ont accompagnés
dans cette aventure et nous ont permis de toucher encore plus de collègues,
chez nous en France. Mais toute vie associative est sujette à turbulence, c’est
un principe universel. Nous avons décidé de quitter le groupe au moment où les divergences
au sein du comité directeur sont devenues un obstacle à un fonctionnement serein et
efficace ; il n’était pas question pour nous de revenir sur deux principes de base : d’abord s’adresser
aux enseignants du public et du privé mais tout en gardant notre neutralité et sans
se laisser inféoder à quiconque, de quelque manière que ce soit ; ensuite
se cantonner à faire connaître
l’Enseignement Explicite, celui de Rosenshine, ce qui était déjà en soi une
tâche très complète. Finalement, ce qui
est surprenant n’est pas le clash de fin, mais plutôt la longévité de notre
implication. En dépit de tout cela, le bilan de l’épisode est très
positif : notre association a fait connaître l’Enseignement Explicite à de
nombreux enseignants du primaire, qui l’ont utilisé, qui en ont témoigné, qui à
leur tour l’ont fait connaître. Nous avons proposé nos idées au ministère Darcos,
qui à l’époque nous a soutenus et en a même imprégné les programmes de 2008.
Mais pour nous, l’éloignement du milieu associatif ne sonnait pas le
glas de notre engagement. Notre but initial était toujours le même : faire
connaître l’Enseignement Explicite et mettre à disposition les outils de
formation et d’auto-formation pendant que d’autres commençaient à explorer le
filon lucratif de la chose. Ainsi le site Form@PEx
est né et c’est un franc succès, il est devenu un lieu incontournable pour quiconque s’intéresse à
l’Enseignement Explicite et a envie de le mettre en place dans sa classe.
Mon cas particulier n’est qu’un exemple parmi tant d’autres : il montre que les
choses peuvent changer dans les classes et l'utilisation de méthodes inefficaces n'est pas une fatalité. L’intérêt grandissant pour les
pédagogies efficaces se manifeste de plus en plus chaque jour ; il est
fort possible que les mesures ministérielles, aggravant jour après jour l’état
de l’École primaire obtiennent, à leur corps défendant, cet effet, et poussent les personnes de terrain
vers la quête de méthodes efficaces. En conséquence, il se pourrait bien que l’avenir soit
définitivement explicite …