Le rapport Fotinos de l’observatoire international de la
violence à l’école, fait état d’une nette dégradation des rapports entre l’École et les parents. Dégradation qui tend à se généraliser ; ainsi environ 40 %
des parents sont des « consommateurs revendicateurs ». La nouveauté
réside, selon G.Fotinos dans le hiatus entre la culture familiale et celle véhiculée par l’école comme en atteste par
exemple la polémique sur le genre. Selon lui, les torts seraient partagés, les
enseignants se retranchant dans leurs bastions face à ces attaques
grandissantes.
Vu depuis le terrain, ce rapport me semble correspondre à une
réalité qui s’intensifie d’une année sur l’autre.
Dégradation des relations et généralisation des comportements
consuméristes sont maintenant devenus courants dans une année scolaire.
Beaucoup de parents d’élèves considèrent l’école non comme un lieu
d’instruction mais comme un service de garderie. Les signes sont
évidents ; ainsi quand un enseignant s’absente sans être remplacé, le
souci premier n’est pas de savoir comment les élèves vont rattraper ce manque
mais qui va pouvoir les garder.
G.Fotinos a bien compris l’origine d’une telle dégradation
quand il parle de rupture entre culture familiale et culture véhiculée par l’École.
Par mon expérience, je constate cela à travers les comportements sociaux
enseignés à l’école, qui sont de plus en plus étrangers aux élèves ; je
parle de tout ce qui régit le savoir-vivre ensemble, depuis les règles de
politesse (dire bonjour et au revoir, s’il vous plaît et merci) jusqu’au respect
des autres et de leur travail en passant par le sens de l’effort et le respect
des règles en général. Les règles sociales et individuelles forment un cadre
nécessaire pour qu’un enfant puisse apprendre avec profit et vivre
harmonieusement avec les autres. Mais elles ne font plus partie du patrimoine
commun dans la société, comme elles l’étaient il y a une cinquantaine d’années.
Aujourd’hui, l’élève qui fréquente l’école est un enfant placé au centre dans
sa famille : il parle et l’on s’arrête pour l’écouter, il réclame et on
lui donne, bref il jouit sans entrave. Mais à l’école, cela ne peut fonctionner
ainsi. L’enfant doit accepter des règles, s’y soumettre et accepter les
éventuelles sanctions qui vont avec. Dans un premier temps, il est dérouté, s’en
plaint auprès de sa famille qui, au lieu de s’interroger sur la chose, accourt
immédiatement en faire grief à l’enseignant. Le même enfant roi ne connaît pas
les règles à la maison : soit il n’y en a pas, ou alors il y a de fausses règles[1].
Pourquoi les problèmes de comportement sont-ils plus nombreux
aujourd’hui qu’autrefois ? Les élèves ne sont ni plus méchants ni plus psychologiquement
défaillants qu’avant, mais il y a ce hiatus entre la culture familiale et celle
de l’école ; autrefois le respect de la règle faisait partie de
l’éducation familiale et les valeurs (respect des autres, de soi, du travail …)
coïncidaient avec celles transmises par l’école. Par conséquent, les élèves s’y
adaptaient plus facilement. Leur passage à l’école ne suscitait pas sur ce plan
là un changement d’univers, alors qu’aujourd’hui c’est le cas. Autrefois,
l’élève qui avait fait une bêtise à l’école redoutait que ses parents
l’apprennent car il était assuré d’une sanction supplémentaire. Aujourd’hui, l’élève qui a été surpris faisant une bêtise n’a qu’une hâte : que ses parents l’apprennent, car il sait que
l’enseignant sera vertement tancé par ses indéfectibles parents-avocats. Les
valeurs familiales sont aujourd’hui construites autour du mythe de l’enfant roi,
les familles y ont largement succombé sans prendre la mesure que ce faisant,
elles n’équipent pas leurs enfants des qualités et valeurs indispensables dans
le monde actuel pour se construire de manière équilibrée.
Par ailleurs, le rapport Fotinos montre que les plaintes relatives
aux résultats scolaires n’arrivent qu’en 3ème position. Je confirme
ce désintérêt grandissant pour les apprentissages ; les familles se soucient
avant tout du bien-être de l’enfant plus que de la qualité des apprentissages. Nombre
d’enseignants pourraient témoigner que par exemple, lors des réunions de
parents, les sujets favoris des parents
d’élèves sont les sorties scolaires, la fête de l’école, la célébration des
anniversaires... Plus largement, ceci est le signe que l’école n’est plus
considérée comme indispensable et qu’elle a perdu son rôle d’escalier social.
Cela se ressent également à travers les discours des enfants quand on les
interroge sur leur avenir : en grande partie, les garçons rêvent de
devenir footballeurs et les filles mannequins.
Enfin, last but not
least, au palmarès des reproches adressés aux enseignants, les sanctions et
punitions. Hélas, on le constate chaque jour sur le terrain, et ce quel que
soit le niveau d’enseignement à l’école primaire. L’enseignant assure une
gestion de classe efficace en posant des règles de comportement. Or, même si beaucoup
l’ignorent, toute règle doit être accompagnée de sanctions, sans quoi elle est
vaine. Jusque-là tout irait bien si le parent lambda faisait confiance à
l’enseignant. Même l’enfant qui chez lui n’a jamais été confronté à une règle parvient
assez vite à les accepter et à les respecter. Mais le parent lambda, persuadé a
priori que l’enseignant est hostile à son enfant, ne lui fait pas confiance. La
confiance des parents envers les enseignants est un principe en voie de
disparition. Par conséquent, ils n’acceptent pas les sanctions, persuadés qu’elles
n’ont d’autre but que de nuire à leur précieuse progéniture. À partir de là, ils font feu de tout bois: ingérence dans le travail de l’enseignant,
harcèlement, procès d’intention, cabale, diffamation, parfois même violence
physique. Face à cela, ’enseignant se trouve démuni, son autorité de compétence s’étant
réduite à peau de chagrin depuis de nombreuses années, depuis que l'on a permis aux parents d'élèves de s'ingérer dans les pratiques professionnelles.
Alors, que peut l’enseignant quand, prévenant un parent du
comportement perturbateur de son enfant, celui-ci arrive les poings tout faits clamant à titre de bonjour : « Mon enfant n’a pas de problème de comportement
dans votre classe. Le problème, c'est vous. » ? Voilà un exemple qui paraîtra exagéré mais qui
n’en reste pas moins réel et illustre bien l’irrémédiable rupture entre parents
et enseignants.
Je considère que cette situation est grave car elle empêche
les enseignants d’exercer leur métier sereinement, avec pour seule préoccupation
le profit des élèves. On ne peut pas travailler utilement avec les élèves si on
n’a pas la confiance de leurs parents. De la même manière que le médecin aura
beaucoup de mal à nous soigner si nous mettons en doute systématiquement les
thérapies qu’il propose. Les enseignants tentent bien de résister, certains y
laissent leur santé. C’est pourquoi de renoncement en renoncement, ils cèdent
finalement aux pressions parentales et vident le métier de sa substance :
ils ne notent plus, ne sanctionnent plus, et maintenant hésitent même à réprimander. Leur
gestion de classe et par conséquent leur enseignement n’est plus efficace. Mais
qui s’en soucie ?
Même si ce type de parent d’élèves est maintenant majoritaire
dans les écoles, je voudrais terminer sur une note plus positive en évoquant la
minorité qui fait encore (mais pour combien de temps ?) confiance à
l’école et à ses enseignants et qui nous permet de nous lever le matin. Les
enfants de ceux-là ont une chance que, malheureusement les autres n’auront pas. Il est trop tard aujourd’hui pour changer le cours des choses
ce qui n’augure rien de bon pour l’école publique ni pour la profession. Mais
après tout, peut-être les peuples ont-ils l’Ecole qu’ils méritent…
[1]
J’appelle fausses règles des règles que l’adulte se plaît à énoncer et annoncer
mais ne fait pas respecter. C’est très pernicieux car cela enseigne à l’enfant
que l’on peut enfreindre la règle en toute impunité.