Être
efficace dans son enseignement – Savoir
expliquer – Éviter l’oubli chez les élèves - Communiquer le sens de l’effort -
Obtenir de bons comportements
Ce n’est plus un scoop, les enseignants sont
formés de manière très inefficace et les jeunes se trouvent désemparés quand
ils tentent de mettre en œuvre dans de vraies classes les vérités qu’on leur a
inculquées. Et que dire de tous ceux qui se trouvent chargés de classe sans
avoir eu de formation, aussi piètre soit-elle ? Si la formation initiale est
défaillante, il en est de même pour la formation continue qui distille
toujours, au gré des moyens locaux, la même doxa constructiviste, et se garde
bien de tenir les enseignants informés des avancées de la recherche en
éducation, surtout quand celles-ci sortent des sentiers battus. Cela contribue
au malaise enseignant, qui survient lorsque l’on ne possède pas l’outil
nécessaire pour l’accomplissement de l’objectif imposé, lorsque l’on se voit
obligé d’utiliser une façon de faire inopérante. Preuve en est la
multiplication sur Internet des espaces d’échanges et de discussion entre
enseignants afin de glaner par-ci par-là quelques recettes. Si l’on regarde les
sujets les plus fréquemment abordés, on remarquera que certains sont
récurrents. Ils portent sur les pratiques de l’enseignant lui-même et sur les
résultats obtenus.
D’une
manière générale, l’efficacité revient très souvent. Nombre d’enseignants
constatent avec désarroi qu’ils ne parviennent pas au but fixé, que leurs
élèves n’apprennent pas ou apprennent mal. Ils cherchent comment faire pour
changer cela. De là, découle l’interrogation sur la manière de faire pour mieux
expliquer les notions et concepts au programme. Cela révèle que les
situations de découverte par les élèves ne donnent pas satisfaction à ceux qui
ont pour ambition des apprentissages réussis. Le comportement des élèves est
également une question cruciale, tout
enseignant sait par expérience qu’il est le préalable aux apprentissages; mais comment faire pour que les élèves se comportent bien quand on a tout
essayé : la discussion, la négociation, les assemblées d’élèves et autres
simulacres démocratiques, quand on a demandé aux élèves eux-mêmes de créer
leurs propres règles, pensant qu'ainsi ils les respecteraient mieux. Par
ailleurs, les élèves ont du mal à fournir des efforts et abandonnent à la
moindre difficulté. Les enseignants sont démunis face à cette absence de
persévérance et pourtant ce n’est pas faute de se creuser la tête pour
transformer les activités scolaires en occupations ludiques. Ils ne savent plus
que faire pour communiquer ce sens de l’effort ; d’un autre côté, ils ont
quelque difficulté avec cette notion, tant l’effort a été honni dans le milieu
éducatif et dissocié de la réussite. Sur le plan des apprentissages, les
enseignants se désolent enfin que les élèves, même ceux qui semblent
comprendre, ne retiennent pas. L’oubli est un souci majeur, à court et à long terme.
Au
fond, tout cela n’est guère surprenant et Internet a cet avantage de présenter
une vitrine du vécu des enseignants et de leur malaise professionnel, car c’est
bien de cela qu'il s’agit. Des années de méthodes pédagogiques inefficaces sont
à l’origine de cet état de fait. Dans l’idéologie constructiviste, l’efficacité
n’a pas sa place ou plutôt ne se situe pas en termes d’apprentissages réussis.
Elle se place dans des notions comme l’estime de soi, le bonheur d’être à
l’école. Pour les problèmes de comportement (et ils sont inévitables quand
l’enfant s’ennuie à l’école et c’est souvent le cas dans les modèles
constructivistes) on a préconisé la discussion, la négociation, des semblants
d’assemblées démocratiques d’élèves, la rédaction de règles scolaires par les
élèves eux-mêmes. On n’a plus osé prononcer le mot de punition, ni même
sanction et encore moins celui d’autorité de l’enseignant. Ce faisant,les
règles de classe sont devenues floues, fragiles, négociables ; si l’on ajoute à
cela la frilosité des enseignants à les appliquer, ainsi que le manque
d’harmonie au sein des écoles, on comprend mieux l’engrenage des problèmes
comportementaux. Le sens de l’effort lui, ne peut se développer quand on se
refuse à évaluer les travaux des élèves et à faire croire que finalement tous
se valent. Pourquoi donc se donner de la peine à fournir des efforts quand de
toute façon on aura sur sa feuille un magnifique bonhomme souriant, ou un grand
Bravo ! L’explication par le maître des notions et concepts n’a pas sa place
dans les méthodes constructivistes : en effet, il ne s’agit pas d’une
transmission directe et l’on croit que l’enfant, en découvrant la notion par
une situation problème appropriée, assimilera mieux la notion. De fait, cela
fonctionne pour une minorité d’enfants privilégiés et cultivés. Pour la grande
majorité, la notion ne s’acquiert pas, ou alors elle s’intègre de manière
erronée ; l’enseignant se voit alors obligé d’apporter rapidement une
explication directe, plus ou moins réussie et improvisée, elle vient trop tard,
après que des erreurs aient eu le temps de cristalliser dans l’esprit des
élèves qui se trouvent déjà en surcharge cognitive. Enfin, l’oubli est le
résultat de la mise au ban de la mémorisation et de l’entraînement. Rien de
surprenant quand, pendant des années, on a jeté l’anathème sur la mémoire,
faisant croire que celle-ci était la pire ennemie de la compréhension, voire de
l’intelligence. Il n’en reste pas moins qu’un enfant qui n’a rien retenu n’a
pas appris. Pourtant, la mission de l’enseignant, sur le plan cognitif, n’est
autre que faire passer en mémoire à long terme un certain nombre d’habiletés et
connaissances. Nous savons maintenant que pour éviter l’oubli, il faut une
pratique intensive et régulière ainsi que des notions à mémoriser. Toutes
choses qui ont été oubliées dans les pratiques constructivistes : entraînement
insuffisant, mémorisation absente.
Si
l’enseignement explicite avait pignon sur rue parmi les décideurs éducatifs
français, il en serait sans doute autrement. Prenons chacun des points évoqués
par les enseignants.
Efficacité
: c’est le but même de l’enseignement explicite. Toutes les études dont il est
issu ont eu et ont toujours pour mission de dessiner le portrait des pratiques
pédagogiques efficaces pour tous les élèves, en termes d’apprentissages.
Mieux
expliquer les notions : la procédure explicite définie par Barak Rosenshine
donne d’excellents résultats en matière d’apprentissage. Il s’agit de la
structure d’une leçon (Mise en situation, Modelage, Pratique guidée, Pratique
autonome, Révisions). Pour les explications à proprement parler (pendant la
phase de modelage) l’enseignement explicite suit un certain nombre de principes
destinés à éviter la surcharge cognitive des élèves : on se réfèrera aux travaux
de Sweller sur la question. Principes qui rejoignent ceux de la théorie de
l’instruction, du Direct Instruction. En voici quelques-uns : introduire peu de
nouvelles notions en même temps (fractionner les notions complexes), partir du
simple pour aller vers le complexe, viser le surapprentissage, s’assurer de la
maîtrise des connaissances préalables, éliminer tout ce qui est superflu ou
ambigu, éviter les digressions et les redondances, choisir soigneusement
exemples et contre-exemples…
Le
comportement : en enseignement explicite, la gestion de classe est
l’indispensable fondement à une bonne gestion de la matière, c’est ce par quoi
l’on doit commencer. Il s’agit d’installer des conditions optimales pour des
apprentissages réussis. Parmi les différents aspects, il y a les règles de
classe instaurées par l’enseignant et lui seul, qui est le garant du respect de
ces règles. Elles sont expliquées aux élèves, ainsi que les sanctions qui vont
avec et les recadrages quand nécessaire. À cela s’ajoutent tous les comportements
d’élèves attendus dans telle ou telle situation d’apprentissage. Ces
comportements sont expliqués et modelés. Voici un aperçu de ce que contient la
gestion de classe : les règles de classe, la gestion des problèmes
(anticipation, recadrage), les interactions avec les élèves (soutien au
comportement positif, encouragements, autorité, maintien de l’attention et de
l’activité, routines).
Le
sens de l’effort : des études récentes en psychologie, en particulier les
travaux de Carol Dweck nous disent qu’il
existe deux états d’esprit (mindset), l’un statique, qui pense que son
intelligence est définitive et acquise pour toujours, qui n’a pour seul but que
de paraître intelligent et dénigre les efforts, réservés à ceux qui n’ont pas
cette intelligence naturelle. L’autre, dynamique, considère qu’il peut
s’améliorer en fournissant des efforts et sera capable de rebondir sur un échec
pour parvenir à un résultat. Les premiers réussissent peu à l’école ; les autres réussissent
mieux. Il faut donc développer l’esprit
dynamique chez les élèves. Une façon d’y parvenir est de mettre au centre la
notion d’effort, en la liant à la réussite ; il est conseillé d’encourager les
élèves en les félicitant sur les efforts et les résultats alors qu’il est
contre-productif de complimenter les talents personnels et innés. En
enseignement explicite, on travaille sur l’équation :
Réussite = Efforts x
Stratégies.
Associé au soutien au comportement positif, cela donne de bons
résultats, en matière d’apprentissages mais aussi d’estime de soi. En effet,
l’estime de soi doit s’appuyer sur des résultats : ce n’est pas en ressassant à
un enfant qu’il a une grande valeur personnelle [1], qu’il aura une meilleure
opinion de lui-même, c’est en lui donnant les outils pour réussir ce qu’il doit
faire à l’école (stratégies données par l’enseignant et efforts fournis par
lui).
L’oubli
: les raisons principales de l’oubli à l’école sont une pratique insuffisante
et un manque de mémorisation systématique de certains éléments. Tout cela ne
permet pas le surapprentissage. En enseignement explicite, la gestion de la
matière est spécifiquement conçue pour parvenir au surapprentissage. Le
psychologue Daniel W. Willingham a montré que l’oubli peut être évité par une
pratique intensive continuant bien au-delà de l’évaluation. Il dit qu’il faut
étudier « au long cours ». C’est pourquoi les séances de pratique (guidée puis
autonome) occupent une place importante. Ainsi que les séances de révision,
d’une année sur l’autre et même très régulièrement (hebdomadaires, mensuelles),
une fois que la notion a déjà été évaluée. Les habiletés que l’on enseigne
reposent sur la mémoire de travail qui a une capacité limitée, les
cognitivistes l’appellent d’ailleurs le goulot de l’esprit. C’est
l’automatisation qui va permettre de dépasser cette étroite limitation. Lorsque
les processus cognitifs sont automatisés (ex : décodage en lecture, lecture
d’une carte, utilisation d’algorithmes mathématiques…), ils interviennent alors
rapidement sans effort conscient tout en libérant de l’espace pour passer à un
niveau supérieur de compétence. La pratique intensive et la mémorisation
nécessitent des efforts : Willingham résume cela en disant que le « génie »
équivaut à 1 % d’inspiration et 99 % de transpiration. Même si l’école ne
prétend pas être une pépinière de génies, il est bon de sensibiliser les élèves
à cela afin qu’ils sachent à quoi sert la pratique et qu’ils puissent apprécier
à leur tour, l’excellence. En enseignement explicite, on associe toujours
l’élève au fonctionnement de son cerveau, ce qui en fait un acteur plus
impliqué.
L’enseignement
explicite répond au type d’attentes fréquemment évoquées par les enseignants.
Il fait partie des méthodes dont l’efficacité a été prouvée non seulement par
la recherche évoquée ci-dessus, mais aussi dans les classes. Il est regrettable qu'il ne soit toujours pas au programme dans la formation des enseignants et
que même ses assises scientifiques soient impropres à lui donner une légitimité
méritée dans les « sciences de l’éducation » françaises. Si malgré tout, des
enseignants commencent à le connaître et à le mettre en place dans les classes,
on ne le doit qu'à leur conscience
professionnelle et à la magie d’Internet, qui permet d’accéder à d’autres modes
que le pédagogiquement correct.
[1]
Cela peut même au contraire aboutir à des problèmes narcissiques comme l’ont
parfaitement montré Jean M.Twenge et W. Keith Campbell dans un ouvrage intitulé
The Narcissism Epidemic – The age of entitlement.