Les
relations avec les parents d’élèves sont déterminantes à la fois pour les
progrès de l’élève mais aussi pour l’efficacité du travail de
l’enseignant. Une bonne adéquation entre
les conceptions éducatives des parents et les conceptions pédagogiques de
l’enseignant sera forcément profitable à l’enfant. L’enfant est imprégné de
l’image qu’a sa famille de l’école, des enseignants et plus généralement du
savoir. Dans une famille où l’on méprise les connaissances, où l’on a un a
priori défavorable à l’égard des enseignants, l’enfant n’aimera ni l’école, ni
les apprentissages. Il se trouvera obligé de fréquenter un univers qu’on lui
décrit comme inutile voire hostile.
Aujourd’hui,
le politiquement correct en matière éducative impose le modèle de l’enfant-roi,
ou plutôt de l’enfant-tyran. L’enfant a été promu au sommet de la pyramide
familiale, il décide de tout et ordonne à son entourage exactement comme s’il
était un être autonome et responsable, un adulte. Cela signifie que l’on a
oublié la définition même de l’enfant, à savoir un être en construction. Il est
considéré comme un être capable de décider : par conséquent, l’adulte argumente
avec lui, négocie, demande la permission… Les mères ont bien souvent perdu de
vue l’immense responsabilité qu’elles ont dans la construction de ce futur
adulte et par ignorance, par suivisme ou par narcissisme, s’appliquent à
inculquer à leurs progénitures qu’ « elles peuvent tout avoir et qu’elles ont
droit à tout ». Alors qu’éduquer consiste justement à faire comprendre que «
dans la vie on ne peut pas tout avoir », l’éducation se faisant dans la
frustration, ce qui ne signifie pas la privation. [2]
S’il
est évident que l’éducation se donne dans les familles et non à l’école, il
n’en reste pas moins qu’un certain type d’éducation donné à la maison peut
nuire aux apprentissages et freiner leur avancement. L’acquisition de connaissances nécessite du
travail et des efforts, parfois des échecs. Toutes choses qui, dans la
conception actuelle de l’éducation, sont bannies du monde enfantin. L’enfant
doit être préservé dans une bulle de bonheur pour flotter en permanence dans un
état de satiété ; pour cela, l’adulte doit satisfaire tous ses besoins. C’est
là que le bât blesse. Lorsque l’enseignant initie à l’effort, au travail
régulier, quand il demande que des leçons soient apprises, des exercices
réalisés avec soin, quand il faut recommencer si cela ne va pas, quand l’enfant
découvre qu’il n’est pas tout seul au centre, qu’il doit supporter les autres,
alors surgissent les problèmes. Et avec eux l’avocat de l’enfant, généralement
la mère, arrivant au galop pour tancer l’enseignant fautif, celui qui a commis
le péché de lèse-majesté. Les pères dans
l’affaire sont souvent en retrait, et suivent avec plus ou moins de conviction
les mères ultra-protectrices prêtes à monter au créneau pour une note non
conforme à son souhait. Tout cela est regrettable à bien des égards. En
premier, cela nuit à l’enfant et à sa scolarité, il ne peut pas développer les
attitudes nécessaires à de bons apprentissages.
Cela nuit aussi à l’enseignant et à son efficacité, il se voit empêché
d’exercer son métier correctement ; il peut finir par baisser les bras, son
professionnalisme étant remis en cause.
La
liste pourrait être longue des attitudes pouvant attirer la vindicte des
parents : une réprimande, une punition, une simple remarque. La question du
bien-fondé de ces accusations ne se pose même pas. Le parent vindicatif n’a pas besoin de
vérifier la véracité des dires de l’enfant, à aucun moment il ne la met en
doute. S’il le dit, c’est que c’est vrai. Et les enfants, qui sont tout sauf
bêtes, ont vite fait de comprendre le fonctionnement des adultes, d’en user et
abuser. Combien de fois ne voyons-nous pas des élèves sortir tranquillement de
l’école et, à la vue de leur mère, se mettre à sangloter, se plaignant d’un
autre enfant ou de la maîtresse qui l’a injustement puni ou grondé. Combien de
fois ne voyons-nous pas les enfants changer brutalement d’attitude quand leurs
parents sont présents. Combien de fois, le jour de la rentrée, ne voyons-nous
pas les enfants cesser de pleurer dès que la mère disparaît (avec beaucoup de
difficultés, parfois en pleurant elle aussi).
Ne
cherchons pas de rationalité dans de tels comportements, il n’y en a pas. Il
est donc difficile de discuter, d’argumenter, d’essayer de persuader. Par
exemple que répondre à une mère hors d’elle qui vous accuse par oral et par
écrit d’être un(e) tortionnaire parce que vous avez eu le malheur de vouloir
faire travailler son enfant (s’assurer qu’il mène à bien une tâche écrite) qui
remue ciel et terre, alerte les autorités ?
Si heureusement, tous les parents ne sont pas
ainsi, cette attitude est de plus en plus répandue. Ce type d’éducation est un
frein à la mission d’instruction et d’enseignement de l’école. Mais plus
largement, elle nuit au développement harmonieux des enfants et en particulier
à celui de leur estime de soi. À trop les complimenter pour leurs qualités
personnelles et innées, et non sur les efforts qu’ils accomplissent, à trop les
persuader qu’ils ont droit à tout, on obtient le contraire de ce que l’on
souhaitait au départ. On voulait leur donner une bonne estime de soi, on en
fait des individus narcissiques [3], complètement inadaptés à la vie dans la
société actuelle.
[1]
. La phrase qui vaut explication, celle qui exonère de tout, qui excuse de
tout, qui ne nécessite aucun développement. La
phrase qui rappelle à l’enseignant, qu’il a outrepassé ses droits. C’est
un enfant et par conséquent il a tous les droits.
[2]
. Aldo Naouri, Éduquer
ses enfants – L’urgence aujourd’hui, 2008.
[3]
. On lira sur la question les ouvrages très documentés de Jean Twenge, Generation Me et Narcissism Epidemic .