Nous sommes en 2121[1]
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Mme X va réintégrer
sa multiclasse après une interruption pour congé maladie ; le jour même de
la rentrée, le 15 août, elle a été victime d’une combustion externe foudroyante
(burn out) et a dû s’arrêter pendant un mois. Elle reprend car financièrement
elle ne peut pas se permettre les 128 jours de carence. Voici sa journée de
pré-rentrée.
Multiclasse : classe constituée d’apprenants d’âges
variés allant de ce que l’on appelait autrefois CP jusqu’à la sixième ou CM3.
Toutes les classes sont ainsi constituées car l’hétérogénéité est devenue
obligatoire, avec son corollaire, la différenciation individuelle ; les
sous-groupes d’âge sont eux aussi hétérogènes par le niveau scolaire des
apprenants. Dans son école, il y a 14 multiclasses.
Mme X consulte d’abord la liste de ses apprenants. Sur les
35 inscrits, il y a 4 ASBS (apprenants sans besoin spécifique). « 4, c’est
beaucoup ! » pense-t-elle. « Comment vais-je les
gérer ? Il faut que je pense à appeler le CPSASBS (conseiller pédagogique
spécialisé pour les ASBS) afin qu’il m’éclaire de ses précieux conseils. Quant aux
autres, ce sera la routine. » Les ASBS sont en effet un problème et Mme X,
pense secrètement que leur inclusion dans des classes « normales » est
souvent difficile ; ces enfants apprenant avec facilité, curieux de tout
et travailleurs, sont propres à perturber le fonctionnement global de la classe.
Mais elle reste malgré tout attachée à l’idée de l’inclusion, les mettre à part
serait propre à les stigmatiser, ce qui serait, à juste titre, répréhensible.
Mme X stresse un peu car en ce début de l’année il y a beaucoup
de travail et elle a pris du retard. Tout d’abord, elle va devoir répondre à la
première convocation des parents d’élèves, au cours de laquelle elle prend connaissance de leurs injonctions et requêtes les plus variées ; cela
s’appelle désormais Réunion d’harmonisation
parentale bienveillante. Chacun à leur tour, les parents exposent leurs
attentes, leurs projets pour la classe, et suggèrent des pistes. L’enseignant
doit répondre à chacune d’elle en justifiant ses futures actions et en montrant
en quoi elles pourront les satisfaire. Cela
peut aller de la demande d’un traitement spécifique pour tel enfant qui ne
supporte pas qu’on élève la voix, à la requête d’utiliser telle méthode pour
tel autre enfant ou celle de lui octroyer une sieste entre 14 h et 17 heures. L’année
est émaillée d’autres réunions de ce type pour faire le point sur les avancées et
justifier les actions menées.
Mais elle doit d’abord revoir son emploi du temps, il sera provisoire,
en attendant que les membres de l’équipe éducative aient indiqué leurs temps et
modalités d’intervention pour les apprenants. La rentrée a eu lieu un mois
auparavant et il faudra bien encore un autre mois avant qu’ils n’aient
coordonné leurs actions. Il faut dire que ce n’est pas chose facile. Elle doit donc dispatcher dans un planning provisoire
les divers domaines de l’enseignement : sensibilisation à la langue française,
trois langues étrangères, programmation informatique, développement de soi,
initiation à la gentillesse, arts universels, sensibilisation bienveillante à la compréhension, questionnement
du monde, esprit critique, et le pilier de tout cela, l’EMLRCBP (Éducation
Morale Laïque Républicaine Citoyenne Bienveillante et Pacifique). Les horaires
doivent se répartir pour moitié entre deux axes majeurs : épanouissement
de la personne humaine et construction du citoyen modèle de la société future.
Elle doit aussi penser à renseigner son dossier préparatoire
d’inspection, au collège dont elle dépend mais c’est une chance, la procédure a
été simplifiée et il n’y a que huit pages à remplir ; une fois de plus,
elle devra donner les profils de chacun des élèves, et indiquer pour chacun de
quelle manière elle mettra en œuvre les axes dominants et accessoires de l’ambition d’école[2],
cela dans une perspective à la fois générale et individualisée. Sans oublier de
présenter son autocritique professionnelle. Il paraîtrait que c’est la partie
déterminante pour l’inspection.
Enfin, elle terminera sa journée par une réunion de phase (Réunion de cycle, selon l'ancienne terminologie)
collège, au cours de laquelle les enseignants du secondaire feront le point sur
les acquisitions des élèves qui leur ont été envoyés et feront part de leurs
attentes pour la suite. C’est une chance, se dit-elle, de pouvoir parler avec
les enseignants du secondaire. Pour rien au monde, elle ne manquerait ce genre
de rassemblement mensuel. Il sera 20 heures quand sa journée sera terminée,
elle n’aura plus qu’à parcourir les 50 km qui la séparent de son domicile. Fatiguée mais satisfaite. Elle
pourra enfin préparer sa journée du lendemain…
***
Certains pourraient objecter que dans le futur, Mme X n’existera
pas car elle aura été remplacée par une enseignante virtuelle, ou même un
robot. Cela n’arrivera pas car un être humain restera toujours plus économique
et plus facilement programmable… Alors, en route vers le futur ?