Une enquête faite récemment au Royaume Uni
révèle qu’environ la moitié des enseignants n’utilisent que rarement les nouvelles
technologies dans leurs classes. Ils se disent empêchés par un manque de
formation : 49,3% s’en plaignent dans l’enseignement public et 43,9% dans
l’enseignement privé. Le coût de ces technologies est évalué à 623 millions de
livres sterling pour l’année en cours (soit une moyenne de 11 800 £ par
école), autant dire que le rapport qualité /prix n’est pas au rendez-vous.
Environ un tiers des enseignants interrogés est tout de même persuadé de
l’efficacité de ces technologies pour l’amélioration des résultats quand elles
sont utilisées correctement.
Je pense qu’une enquête similaire en France aurait des
résultats identiques. Au regard des slogans présentant les nouvelles
technologies comme la panacée pour sauver l’école, et au regard des coûts
engagés de manière inégale sur le territoire, il est légitime de s’interroger
sur les pratiques réelles et sur les éventuels obstacles à leur pleine
utilisation.
Je ne milite pas pour « débrancher les écoles ».
Car je pense que l’école doit utiliser tous les outils à sa disposition, dans
la mesure où ceux-ci contribuent à faciliter les apprentissages et
l’enseignement. Mais qu’il s’agisse d’un ordinateur, d’une tablette, d’un
tableau interactif[1], ce ne
sont que des outils. Ils n’ont en soi aucun pouvoir magique. Leurs limites sont
celles de l’enseignant et de sa pratique pédagogique. Une pratique inefficace
le restera même si la classe est équipée des dernières nouveautés
technologiques. Il semblerait que ce principe de bon sens échappe encore à
beaucoup, en particulier dans les nébuleuses sphères de l’Éducation Nationale.
Personnellement, j’utilise en classe un tableau interactif
qui est un outil très approprié à l’enseignement explicite et, après plusieurs années,
le bilan est très positif. L’école dans laquelle je travaille est équipée
d’ordinateurs et les élèves y ont eu jusqu’à maintenant un accès fréquent et
régulier.
Vu de l’extérieur, cela est merveilleux. Entrons donc dans
les coulisses. En primaire, ces équipements sont financés par les communes sauf
plan de dotation de l’État, phénomène assez rare dans les écoles hors zones REP
ou REP +. Voici donc, déjà, une situation éminemment injuste. Toutes les écoles
de la République ne sont pas égales devant les dotations. Telle commune qui,
dans son projet politique place l’école en bonne place dotera généreusement,
telle autre pour qui l’école n’est pas une priorité, dotera moins bien. Outre
la volonté d’investir dans l’école, il y a aussi la richesse des communes et là
aussi, les situations sont variées. Pourtant les programmes nous obligent à
préparer les élèves au B2I
(Brevet informatique et internet). On peut donc être amené à ne pas mettre le
programme en œuvre faute de financement municipal. Cette injustice ne se loge
pas uniquement dans le financement des nouvelles technologies, elle concerne
aussi tout le reste ; le fait de laisser toute liberté aux communes de
financer à leur guise les écoles primaires est la porte ouverte à des
traitements injustes. Et considérant le pouvoir grandissant accordé aux municipalités sur les écoles, il y a de quoi
s’inquiéter.
Si l’équipement initial constitue un aspect important du
problème, il en est un autre non moins important, il s’agit de la maintenance.
Trop de personnes pensent qu’il suffit d’équiper une fois pour toutes. Il n’en
est rien. Ces matériels, subissant un usage intense dans une école, ont une
durée de vie limitée, et doivent être entretenus régulièrement ; or, à
quelques rarissimes exceptions près, aucun budget n’est prévu. C’est ainsi que
l’on voit des parcs informatiques inutilisables faute d’être entretenus. C’est
encore plus dommageable pour un TBI qui exige une maintenance régulière et dont
les pièces sont très onéreuses, comme par exemple l’ampoule du projecteur que
l’on doit changer assez souvent. Quand un TBI tombe en panne (matérielle ou
logicielle) et qu’il n’est ni réparé ni changé, alors c’est toute la pratique
pédagogique de la classe qui est remise en question ; revenir au tableau
noir après avoir utilisé un TBI est un retour en arrière dont les élèves sont
les premiers à pâtir. Ainsi on peut trouver dans certaines écoles des
équipements coûteux mais inutilisables faute d’avoir été entretenus ou
remplacés, des parcs informatiques remplis d’ordinateurs poussiéreux et obsolètes.
Souvent les écoles récupèrent de vieux ordinateurs dont se débarrassent des
particuliers ou des entreprises ce qui
permet de maintenir les apparences. La situation est comparable à celle qui
consisterait à enseigner l’écriture manuscrite dans un contexte généralisé de pénurie
de papier et de stylos.
L’enquête britannique soulève aussi l’importante question de
la formation des enseignants. Bien qu’ils soient en règle générale des
utilisateurs à titre personnels de diverses technologies, ils ne sont pas tous,
loin s’en faut, capables d’utiliser les nouveaux outils et de faire face aux
aléas quotidiens que tout utilisateur doit être capable de gérer. Par exemple,
la formation TBI en école primaire peut consister en une demi-journée pour
l’ensemble des fonctions qu’il propose, y compris l’utilisation des boîtiers de
vote. Ce qui est largement insuffisant et ne permet pas d’utiliser les
nombreuses possibilités qu’offre ce genre d’installation. Ainsi on peut avoir
du matériel sous-utilisé ou carrément non utilisé.
Au total, il y a comme toujours, une différence abyssale
entre les annonces, et intentions affichées
et la réalité du terrain, ce qui est à
l’origine d’une situation très inégale entre les écoles françaises. Elle émane
de l’inégalité des dotations, de l’absence de maintenance des équipements, d’une
formation insuffisante et inefficace. Alors, lorsqu’on annonce aux médias
que le « numérique est au service de l’École » ou que « l’école numérique de demain commence
aujourd’hui », force est de constater qu’il ne s’agit là que de
paroles creuses dont l’effet incantatoire ne dupe plus grand monde maintenant.