Voici que l’on apprend la naissance d’une nouvelle école pédagogique
: L’école des savoirs essentiels, « pensée et créée » par une
conseillère pédagogique en EPS. Elle a l’imprimatur du ministère de l’Éducation
Nationale, qui n’hésite pas à la qualifier d’innovante; son site est hébergé par la plate-forme
académique de Nancy et, comble de la consécration, le journal Le Monde, à qui
l’on ne peut reprocher aucune connivence avec l’Enseignement Explicite ni avec aucune forme
d’enseignement direct, lui consacre un article bienveillant, voire mièvre, et
n’hésite pas à associer la notion de répétition à celle de miracle
pédagogique ! Où sont donc passés
les bon vieux sarcasmes sur le drill and kill ?
Il n’en fallait pas plus pour attirer ma curiosité. D’autant
que le site académique présente cette innovation comme une « démarche très
explicite ».Y aurait-il donc une parenté entre cette miraculeuse
innovation et l’Enseignement Explicite ? Hélas, toutes les informations disponibles
sont très floues et je suis fort surprise que le côté explicite de la démarche
ne se retrouve pas dans les références scientifiques. Il est simplement
spécifié que l’expérimentation s’appuie sur toutes les recherches scientifiques ou pédagogiques. Malgré tout, l’inventrice
va tout de même jusqu’à faire sien le célèbre slogan de Z.Engelman « If
the learner hasn’t learned, then the teacher hasn’t taught » que l’on cite
depuis les années 60 dans la mouvance explicite.
La problématique initiale, selon le descriptif officiel est une
interrogation sur l’efficacité des enseignements, sur l’hétérogénéité dans les
classes et la « difficulté à faire la part
entre les savoirs de base et les savoirs plus complexe ».
Parmi les suggestions, « Proposer des repères structurés pour apprendre et pour enseigner.
Rechercher des procédés pour mieux apprendre. S’appuyer sur les recherches
pédagogiques et scientifiques sur le fonctionnement du cerveau dans
l’apprentissage. Cibler les savoirs de base et trouver des procédés pour les
consolider, les stabiliser, leur donner du sens. Développer l’autonomie de
l’élève dans les apprentissages. »
Voilà un questionnement vaste, à défaut d’être précis. On
suppose qu’il s’agit de pratiques pédagogiques et de contenus. Si les
expérimentateurs s’appuient effectivement sur les nombreux travaux relatifs aux
pratiques efficaces déjà réalisés depuis plusieurs décennies, qu’ils soient
pédagogiques, neuro scientifiques, expérimentaux, alors nul doute qu’ils aboutiront aux principes de
l’Enseignement Explicite. Parmi les noms des chercheurs mentionnés, je n’ai
trouvé que celui de S.Dehaene. Certes ses conclusions sont très intéressantes
et utiles, mais elles ne suffisent pas à décrire dans leur totalité les pratiques
reconnues comme efficaces. Ce n’était d’ailleurs pas le but de Dehaene. Dans
une démarche dite « très explicite » et questionnant l’efficacité,
comment ignorer les noms de Engelman, Carnine, Rosenshine, Gauthier,
Bissonnette, Richard, John Hattie, Willingham, Kirschner, Clarks pour ne citer que les plus connus ?
Passons donc aux actions issues des principes de base :
·
« Construire des repères spatiaux, temporels,
méthodologiques, relationnels.
·
Préparer des séances en accord
avec les processus mentaux (notamment la mémorisation). Respecter les
temps, les stratégies, les durées de concentration de l’élève.
·
Définir les savoir-être, les
savoir-faire, les savoirs disciplinaires essentiels à acquérir à l’école
primaire et leur donner du sens.
·
Mettre en place des méthodes, des
procédés et des trames de travail pour l’enseignant et pour l’élève. »
Cela n’est rien d’autre qu’une liste de louables intentions
mais ne permettant pas d’imaginer, en l’état actuel des choses, à quoi ressemble
dans les actes cette nouvelle méthode pédagogique ; apparemment, la
mémorisation y a toute son importance ainsi qu’une certaine forme de
métacognition. L’article du Monde évoque des séances courtes ainsi que le fait
d’enseigner une seule chose à la fois. Trop peu d’éléments permettent de
l’apparenter à l’Enseignement Explicite. L’intitulé de cette démarche, l’École
des savoirs essentiels, met l’accent plus sur les contenus que sur l’efficacité
des pratiques pédagogiques. Or de cet aspect-là, rien ne nous est dit.
Au vu de ce grand flou, et même si le tout est paré de nobles
intentions et de liens étroits avec le fonctionnement du cerveau, rien ne
permet d’affirmer que cette nouveauté pédagogique relève d’un Enseignement
Explicite, ni d’une méthode reconnue comme efficace. Parler de mémorisation ou
de séances courtes n’y suffit pas.
Les principes de base des méthodes pédagogiques efficaces
sont maintenant connus, même si, en France, ils sont ignorés et laissés de
côté. La véritable innovation en la matière serait de faire entrer ses
principes ainsi que les données probantes dans la culture pédagogique générale.
Ce serait aussi de former les futurs enseignants à ces méthodes-là. Des
méthodes pédagogiques efficaces
existent, elles ont été mises au point, peaufinées et passées au crible
de l’expérience. Alors à quoi bon faire comme si tout cela n’existait pas ?Les tentatives de récupération ou d’hybridation de
l’Enseignement Explicite sont maintenant monnaie courante ; ce
phénomène est sans doute le signe qu’il
suscite les convoitises, mais pas au point de vouloir l’utiliser pleinement.
Certains l’utilisent pour redorer le blason d’une pédagogie magistrale et
traditionnelle, d’autres le mêlent à la sauce de découverte dans un syncrétisme
contre-productif…
Innover ne doit pas consister à réinventer gauchement l’Enseignement Explicite ou à en picorer
quelques éléments sympathiques, mais à former des enseignants à cette pratique déjà éprouvée,
à créer des écoles explicites et à faire entrer les données probantes dans les
Sciences de l’éducation. Mais il est clair qu’une telle révolution n’attirerait
peut-être pas l’intérêt des journalistes du Monde ou de Vosges Matin.