Le ministre de l’Éducation
Nationale s’est adressé aux
parents d’élèves pour expliquer à quel point les nouveaux rythmes scolaires
sont une opportunité extraordinaire et pour les convaincre que seul l’intérêt
des enfants a été au centre de la réflexion. La manœuvre est pitoyable.
Dans cette logorrhée de
poncifs aussi éculés qu’erronés, une phrase a attiré mon attention.
« L’école
a trop souvent changé en fonction de l’intérêt des adultes et non de celui des
enfants. »
Selon M. Hamon donc, tous
les changements réalisés à l’école auraient servi l’intérêt des adultes et non
celui des enfants. Surprenant, car depuis des lustres, on nous vend les
changements successifs comme uniquement motivés par l’Intérêt
de l’Enfant.
Je me propose donc de faire
un inventaire de tous les changements supposés avoir servi les intérêts des
enseignants (puisqu’ils sont au premier rang des adultes désignés par le
ministre) et des conditions d’exercice censées les combler.
Commençons par les conditions économiques qui se déclinent
par un salaire gelé jusqu’en 2017 accompagnées en conséquence d’une perte de
pouvoir d’achat. Un salaire qui est nettement au-dessous de la norme européenne :
11 %
de moins par rapport à la moyenne. Actuellement, on recrute à
Bac + 5 pour un salaire représentant 112% du Smic.
Logiquement, un tel
affaiblissement économique devrait s’accompagner d’un allègement des tâches.
Dans l’Éducation Nationale, allez chercher pourquoi, c’est le contraire qui se
produit. Notre détérioration des revenus, est accompagnée d’un alourdissement des obligations de service. Ainsi, les
enseignants sont obligés de travailler gratuitement : 20 min par jour
d’accueil obligatoire non pris en compte dans le quota d’heures. Obligation de
rattraper des journées déjà travaillées. Dans quel autre corps de métier oserait-on
imposer aux salariés de travailler pour rattraper une journée n’ayant pas été
vaquée ? (Ex : travail le mercredi 12 juin 2014 pour rattraper une
journée de pré-rentrée bien effectuée). Obligation pour les enseignants de
maternelle d’attendre la venue des parents pour terminer leur journée. Ce qui représente
un temps considérable sur une année scolaire. Enfin, l’enseignant,
contrairement aux autres professions, n’a pas droit à une pause dans la journée
alors que le Code du travail prévoit une pause minimale de 20 minutes lorsque
le temps quotidien de travail atteint 6 heures.(art L 3121 – 33 )
Les
dernières années ont vu le métier se bureaucratiser à l’excès.
L’enseignant de primaire doit remplir des rapports, cocher des cases, créer des
fiches actions, rédiger des projets, signaler à la hiérarchie ses moindres
faits et gestes (utilisation des 108 heures, comptes rendus de réunions …)
remplir des livrets d’évaluation, les dossiers PPRE, APC ou autres PPS … Les
tâches administratives et bureaucratiques sont en voie d’être la partie la plus
importante du métier au détriment du questionnement pédagogique.
À cette charge
bureaucratique vient s’ajouter la multiplication des tâches d’enseignement par l’alourdissement des programmes, alors
que le temps de présence devant les élèves a baissé (APC). C’est ainsi que
l’école primaire, censée régler tous les problèmes sociaux doit maintenant
faire plus de sport, enseigner une langue vivante, l’histoire des arts, la
morale laïque, le B2I, la sécurité routière, le développement durable,
l’hygiène dentaire, le porter secours, lutter contre l’homophobie, contre le
racisme et contre toute forme de discrimination, contre l’obésité, le tabagisme
…Tout en se focalisant sur les fondamentaux !
Et que dire de la perte de l’autorité professionnelle des
enseignants, induite par l’ingérence pédagogique des parents d’élèves, par
l’obligation d’utiliser des méthodes pédagogiques non efficaces et par la
propagation de mythes pédagogiques. C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple,
que l’on persuade les enseignants qu’en faisant rédiger les règles de classe
par les élèves, ceux-ci seront plus enclins à les respecter ; principe
erroné mais pratique courante dans les écoles. Autrement dit, on exige des
résultats tout en orientant les enseignants vers des pratiques non efficaces ;
et il est difficile, en dépit de la liberté pédagogique, de s’aventurer hors
des sentiers officiels.
Parlons enfin de la gestion des comportements qui se révèle
problématique pour beaucoup d’enseignants, non formés et n’ayant plus
l’autorité indispensable. L’enseignant est démuni devant les « élèves
perturbateurs » et bien souvent il ne doit son salut qu’à une éventuelle
autorité personnelle. Bref, il se retrouve seul. On n’enseigne pas aux
enseignants les pratiques susceptibles de gérer les comportements. Et pourtant
elles existent et sont efficaces (voir par exemple, PBIS ou Soutien au
comportement positif). Tout ce qui est proposé va à l’encontre des principes
permettant une meilleure gestion de classe, voir l’exemple cité plus haut sur
les règles de classe. Et pourtant, quand les IUFM puis les ESPE ont remplacé
les archaïques Écoles normales d’instituteurs, ce devait être un véritable
progrès qui profiterait aux élèves.
Tout récemment, le rapport
Fotinos faisait état d’une nette dégradation des rapports entre enseignants et parents
d’élèves. Dégradation bien palpable sur le terrain. Les enseignants ne sont
plus respectés et sont régulièrement l’objet de harcèlement, d’agressions
verbales ou même physiques. Pourquoi cela ? Car les parents consommateurs
d’école ont des attentes qui ne correspondent pas aux objectifs assignés à l’école,
et que leurs attitudes agressives, si elles ne sont pas encouragées, ne sont
pas pour autant sanctionnées. Dans une agression de ce type contre un
enseignant, l’opinion, quand ce n’est pas la hiérarchie, mettra systématiquement
en cause l’enseignant. L’accueil des parents dans l’école et dans les équipes
éducatives, même s’il était motivé par de nobles intentions a contribué dans la
réalité des choses à une ingérence pédagogique au sens large.
On pourrait enfin ajouter pêle-mêle
les projets d’école, l’évaluation par compétences, les livrets d’évaluation,
les cycles, les concertations de cycles, d’école, les réunions d’intégration...
Qu’est-ce que toutes ces choses, que l’on nous a vendues comme des panacées ont
changé aux résultats : absolument rien dans le meilleur des cas, une
détérioration dans l’autre. Qu’est-ce que ces choses ont apporté au métier
d’enseignant : une nette détérioration des conditions d’exercice. Et cela
n’est pas une vue de l’esprit. Dans l’Éducation
Nationale une personne sur 4 est touchée par le stress résultant
d’une « situation à risques pour la
santé où les exigences du travail sont importantes, la demande psychologique
forte et où les ressources disponibles dans le travail pour y faire face sont
insuffisantes, la latitude décisionnelle faible » Enquête qui résume avec
précision l’état des lieux.
On comprendra mieux, que,
contrairement à ce que prétend le ministre, les réformes successives n’ont
absolument pas servi les intérêts des adultes, en tout cas pas celui des
enseignants, bien au contraire. C’est une énormité, pire encore un mensonge. La
meilleure preuve en est le désintérêt
pour la profession et la difficulté de recrutement. 5 années
d’études après le bac + un concours (certes pas très difficile) + un salaire de
base dérisoire + une déconsidération sociale assurée + l’assurance d’obtenir un
poste des quartiers très difficiles sans avoir été formé à ce type de public. Et
les décideurs se demandent encore pourquoi une telle désaffection…
Il faudrait peut-être
cesser d’opposer l’intérêt des adultes ou plutôt des enseignants et celui des
élèves. Si l’enseignant était « bien dans son métier », s’il n’avait
plus à subir toutes les pressions évoquées ci-dessus, alors, il serait bien
plus efficace dans ses actions pédagogiques, et ce quelle que soit la méthode
utilisée. C'est pourquoi il me semblerait plus juste d'affirmer haut et clair que les réformes des dernières décennies ont desservi l'intérêt des élèves ET celui des enseignants.