Contrairement
à ce que l’on entend ici et là, la question, Pédagogie Explicite vs Pédagogie
de découverte, est très bien posée. Il s’agirait, dans l’absolu, de voir
quelles formes pédagogiques conviennent le mieux aux apprentissages de tous les
élèves. Quels sont respectivement leurs points faibles et leurs forces, quels
arguments peuvent être présentés pour les justifier et surtout sur quelles
données probantes elles s’appuient.
Mais
cela pourrait exister dans un pays imaginaire où pour commencer, on serait
d’accord sur les objectifs de l’école : fournir aux élèves des apprentissages
scolaires (i.e. culturels et non naturels) leur permettant de former leur
esprit et de devenir ainsi des citoyens éclairés. On fait mine de partager
cette ambition sous couvert de “valeurs républicaines” ; les uns mettent
derrière ce terme un retour à l’ancien temps, celui de l’encre violette et des
coups de règle, les autres y voient aussi un retour à un temps ancien, certes
un peu moins, celui des mouvements pour l’Éducation nouvelle. Mais au fond, qui se soucie d’efficacité ?
Qui prouve que telle méthode est bonne ?
Le débat serait aussi possible dans un pays imaginaire où chacun
accepterait de se confronter aux preuves, aux résultats de terrain, aux
résultats des dernières recherches en sciences cognitives.
Mais
la réalité est hélas toute autre. Non seulement, ni les uns ni les autres ne
sont d’accord sur les véritables buts de l’École, mais de plus, la discussion
est impossible car les argumentaires reposent pour les uns sur des idées, pour
les autres sur des données probantes, pour d’autres encore, certes en minorité,
sur une tradition. Mais qu’est-ce qui est plus crédible : une idée aussi séduisante
soit-elle, parée de toutes les vertus humanistes possibles, une preuve au
regard de l’efficacité, ou l’attachement à une tradition ? On tombe alors dans
le dialogue de sourds, dans la caricature, dans la mauvaise foi. C’est ce qui
se passe depuis de nombreuses années dans le “débat” français et cela n’est pas
prêt de s’arrêter.
Quand
on soutient que l’efficacité de l’enseignement peut être obtenue par des
méthodes fortement guidées, et que cela est démontré par de nombreuses études
en psychologie cognitive [1], alors on vous traite de néolibéral (ce qui n’est
pas un compliment), et de partisan de l’individualisation (autre insulte). Or,
un enseignement guidé n’a aucun rapport avec l’individualisation puisque
justement il s’adresse à des groupes classes ; le reproche est un peu fort de
café de la part de ceux qui revendiquent à grands cris la différenciation
pédagogique pour chaque élève (dont au
passage il a été montré qu’elle n’améliorerait en rien les résultats
scolaires [2]).
Les
constructivistes, au pouvoir pédagogique depuis plus de quarante ans, ne
digèrent pas les échecs des pratiques qu’ils ont imposées aux enseignants.
Plutôt que de les remettre en cause et de se pencher sur ce qui n’a pas
fonctionné [3], ils préfèrent user d’arguties spécieuses mais maintenant
éculées, dans le style : nos théories n’ont jamais été correctement appliquées
et l’enseignement traditionnel et magistral n’a jamais été éradiqué des écoles.
À ce stade, on est en droit de se demander s’il s’agit de mauvaise foi ou d’imbécillité.
Quiconque a fréquenté les écoles françaises depuis les dernières décennies – et
c’est personnellement mon cas – n’aura pas manqué de constater à quel point
règnent les méthodes de découverte, à quel point la transmission directe et
explicite est bannie des classes, à quel point les élèves sont lancés tout
seuls dans la complexité, à quel point ce type d’enseignement nuit aux élèves
socialement défavorisés que leurs familles ne peuvent aider scolairement.
Et
puis, comme la plupart de ceux qui refusent de voir leurs idées contestés, ils
refusent d’admettre la critique qui consiste à mettre l’échec de l’école sur le
dos des pratiques laxistes centrées sur l’enfant. La centration sur l’enfant,
qu’ils ont revendiquée comme un but en soi, panacée de toutes les difficultés
d’apprentissage leur revient au visage.
Posé
ainsi, l’argument ne fait pas sens. Après tout, si le laxisme ou la centration
sur l’enfant permettait aux élèves d’apprendre mieux, qui songerait à le leur
reprocher ? Non, ce qu’on peut et qu’on doit leur reprocher, c’est le manque
d’efficacité, c’est tout. C’est le choix d’outils pédagogiques ne permettant
pas d’atteindre les buts fixés par les programmes.
Les
constructivistes ont fait plusieurs erreurs : d’abord ils sont partis du principe
que la théorie constructiviste portant sur l’apprentissage pouvait s’appliquer
à l’enseignement. Fort de cette conviction, ils ne se sont pas préoccupés d’en
valider le principe, la considérant comme vérité universelle. Cela montre bien
qu’ils sont guidés par des idées et non par des preuves. Puis ils ont déclaré
que, par conséquent, le meilleur outil pour enseigner était l’utilisation de
méthodes de découverte et un enseignement faiblement guidé. Cela est passé du
stade de l’hypothèse à celui de vérité, puis d’injonction pédagogique auprès
des enseignants, sans aucune étude intermédiaire. La classification d’Ellis
& Fouts [4], qui fait consensus dans le monde scientifique, leur était (et
leur est toujours) inconnue, ce qui est un peu normal vu qu’ils ne se situent
pas dans un argumentaire scientifique mais idéologique. Cela est néanmoins très
grave, aussi grave que de mettre sur le marché des médicaments n’ayant pas
l’autorisation de mise en vente sur le marché.
Aujourd’hui,
l’Enseignement Explicite sort timidement de l’ombre et commence à inquiéter les
tenants de l’implicite. Certains le rejettent en bloc en l’assimilant à
l’enseignement traditionnel dont pourtant il est fortement éloigné, mais la
mauvaise foi tient lieu d’argument. D’autres, dans une position un peu ambiguë,
croient que l’on peut mélanger constructivisme et Enseignement Explicite même
si cela est un non-sens sur le plan cognitif. En effet, l’Enseignement
Explicite pense toutes ses procédures pour éviter la surcharge cognitive et
pour obtenir la meilleure acquisition des compétences en transmettant
directement, en partant du simple pour aller vers le complexe, en procédant pas
à pas, en donnant une pratique abondante, une correction raisonnée, en
participant au surapprentissage, en libérant la mémoire de travail afin qu’elle
se consacre au raisonnement. De tout cela, les méthodes de découverte sont
incapables : elles surchargent cognitivement l’enfant en le mettant face à des
situations complexes qu’ils n’a pas les moyens de résoudre, elles ne donnent
pas assez de pratique, elles n’associent pas cognitivement l’élève à ses
apprentissages, elles laissent les erreurs s’installer, l’accès direct à la
complexité ne permet pas la mise en mémoire des informations. Ces deux méthodes
sont donc complètement incompatibles dans l’étape d’acquisition des
connaissances et habiletés. Certes l’Enseignement Explicite n’a pas le monopole
de l’efficacité, et par conséquent toute autre méthode portant ses fruits doit
avoir pignon sur rue. Mais encore faut-il que les preuves soient là, bien
tangibles et que la validité ne repose pas sur l’opinion de quelques-uns,
qu’ils soient praticiens ou formateurs.
Méfions-nous
donc des labels “explicite” qui commencent à parsemer certaines pratiques
constructivistes pensant ainsi redorer le blason de méthodes maintenant
assimilées dans l’opinion au laxisme, à l’inefficacité et à l’injustice
sociale. L’Enseignement Explicite est porteur d’un véritable rapport à
l’efficacité, il s’appuie sur des études probantes et sur tout ce que nous
savons maintenant du fonctionnement du cerveau humain. En aucune manière, il
n’est compatible avec l’utilisation de méthodes de découverte comme moyen
d’apprentissage.
Pour
conclure, il n’est donc pas excessif d’affirmer que le débat est actuellement
impossible. Il le sera un jour lointain, quand les données probantes auront
pénétré le champ éducatif et que les argumentations se feront sur des preuves
tangibles. Tant que les uns argumenteront sur le plan idéologique et les autres
sur celui des données, cela restera une vaste mascarade dans laquelle la
mauvaise foi côtoiera les procès d’intention et les raccourcis mensongers. En
attendant ce temps hypothétique, les enseignants font ce qu’ils peuvent,
certains élèves s’en sortent mais beaucoup n’ont pas cette chance. Les
officines de soutien scolaire prolifèrent. Les traditionnalistes refont surface
en revendiquant le bon vieux temps des plumes Sergent Major. Les erreurs sont
humaines mais à ce stade, la persévérance frise l’acharnement.
[1]
. Résumé : Mettre les élèves sur le chemin des apprentissages (Richard E. Clark, Paul A.
Kirschner, John Sweller)
Pourquoi
un enseignement peu guidé ne fonctionne pas : une analyse de l’échec de
l’enseignement constructiviste, et autres pédagogies par découverte, par
situations problèmes, par expériences et enquêtes (Paul A. Kirschner, John
Sweller, Richard E. Clark)
Résumé
: Les
conséquences pédagogiques de la théorie psychologique évolutionniste de David
C. Geary (John Sweller)
[2]
. Quels sont les effets de la pédagogie différenciée sur la réussite des élèves ?Une analyse de recherches
[3]
. Mais encore faudrait-il qu’ils fassent preuve d’esprit dynamique tel que
défini par l’étude de Carol Dweck.
Synthèse
: La taxonomie d’Ellis et Fouts : voir ici