Les enseignants sont-ils stressés ?
Il est très courant d’évoquer le stress des élèves,
ou leur phobie de l’école. Par contre, celui des enseignants ne fait
jamais la une des journaux, c’est sans doute un sujet politiquement incorrect alors
que l’on n’hésite pas à parler du burn out des salariés du privé, par
exemple. Il est impossible d’accéder à aucune statistique sur la question.
Pourtant, c’est une réalité quotidienne. Et cela commence dès l’école primaire.
C’est d’elle qu’il s’agit ici.
Voici un certain nombre d’agents stressants qui
peuvent expliquer le mal être des enseignants du primaire.
La tâche d’enseignement en soi
Dans cette rubrique, on peut placer les conditions
matérielles d’enseignement :
La taille des classes (c’est un travail différent de mener un CP de 18
élèves et un CP de 29), le niveau (par exemple un cours triple ou une classe
unique).
Les conditions pédagogiques comme par exemple l’utilisation d’une méthode
pédagogique inefficace. À cela plusieurs raisons possibles :
*L’enseignant n’en connaît pas d’autres.
*L’enseignant croit à ses vertus.
*L’enseignant est plus ou moins obligé d’utiliser une méthode qui ne lui convient pas (pression de l’IEN, projet d’école).
*L’enseignant croit à ses vertus.
*L’enseignant est plus ou moins obligé d’utiliser une méthode qui ne lui convient pas (pression de l’IEN, projet d’école).
L’hétérogénéité de niveau au sein d’une même classe. Elle peut poser
problème, notamment aux débutants. On essaie de nous persuader que les
différences de niveau sont une chance pour la classe mais, dans les faits, il
n’en est rien : l’enseignant ne peut se partager à l’infini pour donner
des cours particuliers à chacun des élèves. Un minimum d’homogénéité est
nécessaire.
Les élèves
Le rapport avec les élèves peut aussi poser
problème. Il s’agit alors de tous les problèmes de discipline, de comportement,
de violence physique ou verbale. Je pense que de loin, ce sont les plus graves.
Il n’est pas normal qu’un enseignant parte travailler le matin la peur au
ventre. S’il n’est pas serein, son enseignement sera de mauvaise qualité.
D’une part, les jeunes enseignants ne sont
absolument pas préparés à la réalité du terrain et se trouvent complètement
désarmés quand ils la découvrent. D’autre part, les enseignants ont été
dépossédés de l’autorité qu’ils pouvaient avoir dans leur classe, et ce pour
plusieurs raisons :
Le statut de l’enfant dans la société (enfant roi à qui tout est permis, qui ne sait pas
ce qu’est une règle, défendu par ses parents).
Le statut des parents dans l’école (ont une place reconnue dans l’école, participent
aux décisions et sont les avocats de leurs enfants).
Le pouvoir décisionnel pédagogique (ex : les redoublements) qui n’appartient
plus à l’enseignant.
Le respect de l’enseignant dans la société. Du fait de sa perte d’autorité, de sa perte de
pouvoir décisionnel, de son salaire très bas, le statut de l’enseignant dans la
société a changé. Il n’est plus qu’un subalterne au service de l’enfant et on
lui fera part de son mécontentement, de toutes les manières, y compris
violentes, s’il ne sait pas reconnaître le génie de l’enfant qu’on lui confie.
Le respect de l’École en tant qu’institution. A cela plusieurs raisons. D’abord l’école, depuis
les années 70 (à la suite des « pédagogies nouvelles »), a été désacralisée, elle se défend alors d’être uniquement un lieu de
transmission des savoirs, elle se veut lieu de vie et d’épanouissement de l’enfant,
un endroit ouvert sur le monde. Le savoir, plus largement, dans la société, n’a
qu’une importance mineure dans les mentalités. Il est dépassé par l’argent et
la consommation. De plus, les diplômes ne sont plus un sésame pour une
meilleure place dans la société. Tout cela fait que l’École, à l’image des
maîtres, n’est plus respectée.
Mais le rapport avec les élèves peut aussi
s’inscrire dans une dimension purement scolaire, quand par exemple les élèves
n’ont pas le niveau requis ce qui est assez fréquent.
Les parents d’élèves
Les parents d’élèves dans les écoles primaires
peuvent être également source de stress.
Violence et agressivité. On n’hésite plus à aller insulter
l’enseignant publiquement, dans l’école, à lui faire des procès d’intention, voire
à en venir aux mains. Les prétextes sont divers : une mauvaise note, une
supposée réprimande, un geste mal interprété … Comment l’enseignant qui a subi
ce genre d’agression peut-il continuer son année d’enseignement ? Dans
quel état d’esprit se trouvera-t-il chaque matin en arrivant à l’école ?
Comment poursuivra-t-il l’année vis-à-vis de l’enfant dont les parents ont posé
problème ? Quelque chose aura changé sans doute. En tout cas, il ne sera
sûrement pas dans les meilleures conditions pour enseigner, si toutefois il ne
se retrouve pas en congé maladie.
Éducation familiale. Les parents d’élèves sont aussi ceux qui
dispensent l’éducation de leurs enfants, dont on sait aujourd’hui à quel point
elle est défaillante. Ils sont les parents des enfants rois et, en tant que
tels, leurs fervents avocats. Ils vont donc intervenir auprès de l’enseignant,
non dans le bien scolaire de l’enfant, mais dans la satisfaction des désirs,
plaisirs et exigences de celui-ci. Cela signifie qu’il n’y aura pas forcément
adéquation entre l’exigence du parent et la vision de l’enseignant qui elle est
proprement scolaire ; d’où possibilité de conflit.
Participation des parents aux décisions de l’école. Par leur appartenance au Conseil d’École et leur
participation aux décisions, ils peuvent influencer entre autres les partis
pris pédagogiques de l’équipe. Ainsi, un enseignant peut se retrouver en
situation de ne pas pouvoir exercer sa liberté pédagogique individuelle comme
par exemple le choix de sa méthode d’enseignement, de ses manuels, de sa
politique par rapports aux sorties ou classes transplantées, tellement
réclamées par les parents d’élèves.
Les rapports à la hiérarchie
L’inspection. Il existe bel et bien un stress occasionné par
l’appréhension de l’évaluation et ce, quel que soit l’âge de l’enseignant. En
primaire, les rapports avec la hiérarchie prennent la forme d’inspections,
faites par les IEN. Hormis le jour de l’inspection, l’enseignant ne voit
pratiquement jamais son inspecteur, ne le connaît pratiquement pas ; la
réciproque est vraie aussi. L’inspection devient alors un événement
exceptionnel qui doit avoir lieu tous les 3 ans mais qui dans les faits est
bien plus rare. C’est une situation qui peut être vécue comme infantilisante ou
même injuste. L’inspecteur va attribuer une note sur 20 après avoir vu une
séance d’une heure de classe.
Les directives pédagogiques. A cela, s’ajoutent parfois les pressions
pédagogiques exercées par certains IEN, désirant promouvoir certaines méthodes
pédagogiques plutôt que d’autres et montrant plus d’intérêt pour la maîtrise
d’un discours « pédagogiquement correct » que pour les résultats dans
les classes.
Le climat dans l’école
L’enseignant fait partie d’une équipe éducative,
qui est sensée travailler en harmonie. Il est donc indispensable qu’il y règne
un bon climat, d’entraide et d’ouverture. Sans quoi cela risque d’être un
nouvel obstacle. Il existe des écoles, nous en avons tous connues, au climat
délétère, dans lequel les désaccords peuvent être personnels, ou pire encore,
pédagogiques.
Je vous laisse imaginer le pire des cas de
figure : des élèves au comportement difficile, un niveau scolaire très
bas, des parents d’élèves agressifs, une hiérarchie qui vous met la pression,
des collègues avec lesquels vous êtes en désaccord.