En substance, il dit ceci : si les programmes n’ont pas été
appliqués correctement (une fois de plus) la faute est imputable à la lourdeur
des programmes et aux enseignants « qui
ont une insuffisante maîtrise des fondements disciplinaires et
didactiques ». Ainsi qu’au manque d’accompagnement. Trois pistes
d’interprétation mais une centaine de pages pour décrire ces enseignants
inefficaces.
Ce qui me choque ici n’est pas le constat que certains enseignants
échouent à faire réussir leurs élèves mais plutôt qu’on le leur reproche. Car
enfin, s’ils n’ont ni les connaissances disciplinaires qu’ils sont supposés
enseigner, ni les méthodes pédagogiques pour ce faire, à qui la faute ?
Sûrement pas à eux. Il semblerait à lire ce rapport, que les enseignants ont
été recrutés au hasard, dans la rue, sans aucune qualification. Le niveau des connaissances disciplinaires ne serait-il pas pris en compte lors du
recrutement ? (« Quelques
professeurs des écoles, même s’ils sont très rares parmi ceux qui ont été
rencontrés, n’ont pas eux-mêmes une maîtrise optimale de la langue, surtout à
l’écrit. La majorité d’entre eux manquent de connaissances, ne perçoivent pas
la langue comme un système et n’ont pas la vue d’ensemble qui leur permettrait
d’établir une hiérarchisation entre les notions à étudier, une progression, des
relations fructueuses entre domaines.») Quant aux lacunes pédagogiques,
elles ne devraient pas exister après une formation digne de ce nom.
Comme toujours, les enseignants endossent la responsabilité de tous les
maux de l’éducation. A quand donc un rapport de l’IGEN sur la formation, sur
les méthodes pédagogiques encouragées, sur l’idée d’efficacité, sur l’utilisation
des données probantes, sur la formation continue ou initiale, laquelle, c'est de notoriété publique, propose encore et toujours
les mêmes recettes menant au mur et ce, inlassablement depuis des décennies ?
A ce niveau, l’obstination se fait pathologie.
Beaucoup des observations rapportées ici sont fondées mais en
aucune manière, n’est posée la question du pourquoi. Quelques exemples pour
illustrer :
« Les prévisions de progressions – programmations annoncées ne correspondent pas exactement aux activités dont les cahiers portent la trace, surtout au cycle 3. »
Pourquoi donc ? Parce que les
enseignants sont devenus de bons petits soldats; à force de bureaucratiser la
fonction, on a obtenu l’effet inverse de l’effet voulu : on coche des
cases, on remplit des tableaux, on affiche des intentions, des déclarations, on
signe des "contrats", des PPRE, des PPS... La lettre prime désormais sur l’esprit.
«Les photocopies abondent, avec les défauts déjà analysés : collages plus ou moins soignés sur des cahiers (ce qui occasionne une grande consommation de papier), qualité matérielle médiocre de supports uniformes ne permettant ni de percevoir la diversité des fonctions qui leur sont dévolues ni de hiérarchiser l’information. ».
Depuis les lustres, on dénigre les manuels, on répète aux enseignants
qu’il faut s’en détacher et se fabriquer ses outils personnels. Pourquoi ?
On n’en sait rien. Qui peut prouver que les "brico-montages" de chacun sont
plus efficaces qu’un manuel ? Le rapport souhaite donc un retour aux
manuels, ce qui ne l’empêche pas non plus de critiquer leur utilisation quand
il s’agit de s’en inspirer pour établir des progressions annuelles.
« Les inspecteurs regrettent le manque d’appropriation véritable et d’esprit critique face aux supports empruntés dont certains n’ont reçu aucune validation (sites de pairs par exemple). »
Pourquoi les sites d’enseignants
fournissant des ressources et autres recettes sont-ils si nombreux et si
utilisés ? Promenez-vous sur Internet et vous constaterez que leur
fréquentation dépasse largement celle des espaces institutionnels.
Pourquoi ? Parce que les sites
institutionnels, véritables usines à gaz sont inutilisables. Parce que rares
sont les circonscriptions qui mettent à disposition des enseignants des outils pratiques
et en rapport avec la réalité, contrairement aux sites d’enseignants, même si
par ailleurs, certains d’entre eux me semblent discutables sur le plan
pédagogique. Dans quel autre métier est-on obligé de recourir ainsi à
l’auto-formation entre pairs ? Quand on en arrive là, c’est peu dire que le métier manque de professionnalisme.
« Le trompe l’œil des pratiques inévitables (la langue étant partout) ne saurait masquer l’absence de travail explicite et structuré sur la langue ».
Autrement dit, on déplore l’absence de travail explicite et structuré.
Mais au fait, qui et pendant combien de temps a-t-on persuadé les enseignants
que la vérité était dans les méthodes de découverte ? Qu’il fallait
travailler dans l’implicite, dans le jeu, sans jamais évoquer les objectifs
d’apprentissage ? Personnellement, j’ai même rencontré un IEN qui
déconseillait fortement de noter les titres des leçons au tableau avant de
commencer. Et parce que les programmes de 2008 suggéraient un enseignement
explicite et structuré, on a cru que « le dire c’est le faire » et
que, du jour au lendemain, les enseignants allaient fournir un enseignement explicite,
sans toutefois avoir suivi de formation à une pratique pédagogique qui ne s’invente
pas, sans même qu’aucune information ne soit transmise par les circonscriptions. Nous
conseillons un enseignement explicite et structuré, disaient les programmes
2008. Mais qui a expliqué ce que c’était aux enseignants, qui les a formés à
cela ? Par conséquent, certains d’entre eux, voulant bien faire, ont
fourni un enseignement qu’ils croyaient explicite mais qui n’était rien d’autre
qu’un succédané d’enseignement traditionnel.Il est donc logique que le rapport
fasse cette observation : « Parmi les inspecteurs
rencontrés, certains évoquent les « ravages de l’enseignement explicite ou
direct » et « la volonté de construire trop vite des automatismes ». Nous nous
garderons d’affirmer que c’est une explication généralisable mais il est de
fait qu’un certain nombre de maîtres ont pu recevoir des préconisations en ce
sens avec plaisir et se réfugier dans des pratiques qui n’illustrent pas
exactement ce qui fait l’efficacité de l’enseignement direct. » Bien évidemment, je souhaiterais que
l’enseignement direct et explicite soit pratiqué, mais comment faire quand on
ne sait pas ce que c’est, quand personne ne vous forme ni ne vous informe et que,
pire encore, circule une désinformation de taille sur la question.
Enfin, voici une remarque récurrente : « Les maîtres ne disposent
pas, pour la grande majorité d’entre eux, des outils conceptuels et didactiques
pour mettre en œuvre les programmes tels qu’ils existent et même s’ils étaient
allégés, et pour donner à leur enseignement toute l’efficacité attendue. »
J’arrête là cette sinistre énumération. Face à de telles observations
sans doute justifiées, on s’attendrait à ce que les pistes proposées renvoient au
recrutement et à la formation initiale et continue, aux pratiques pédagogiques
efficaces afin que celles-ci soient enfin placées au centre. Il n’en est rien,
il est suggéré par contre de : développer l’accompagnement des enseignants
grâce au numérique (ah ! la magie du numérique !), à des sites et
lieux d’échanges institutionnels, au travail en équipe (autre serpent de mer), à une rédaction plus
précise des programmes, au rétablissement des évaluations nationales, à
l’installation de liens explicites entre disciplines, à l’introduction du numérique dans tous les champs disciplinaires,
à la prise en compte du temps réel d’apprentissage[1].
Bref, rien de nouveau sous le soleil si ce n’est l’habituel bla-bla que les
plus anciens d’entre nous connaissent bien. Voilà qui aidera sans aucun doute
les enseignants qui n’ont ni les connaissances, ni la pédagogie, ni les outils
conceptuels, à combler leurs lacunes et à proposer à leurs élèves un
enseignement de qualité.
Au final, on comprend
mieux pourquoi ce document n’a pas été mis en ligne sur la page IGEN du site
ministériel Je
ne peux résister à la tentation de reproduire ce qui se trouve en haut de cette
page intitulée Publication de rapport des inspections générales : " Les rapports de l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale (IGEN) et de la rechercher (IGAENR) ont désormais vocation à être publiés. Cette transparence contribuera utilement au débat public sur la réussite éducative." Par conséquent, merci au site du Monde qui, en publiant ce document, a contribué à ladite transparence.
L'un des grands principes de l'Enseignement Explicite est d'attribuer l'échec de l'élève à une défaillance de l'enseignement. Alors, soyons fou et rêvons un peu. Si on transposait à la formation des enseignants l'adage de S.Engelman[2] ?
" Si les enseignants ne réussissent pas, alors, les formateurs n'ont pas enseigné."