Dialogue
virtuel entre le Rapport et l’École.
Le Rapport : De quoi disent-ils que vous êtes malade ?
L’École : Ils disent que les méthodes pédagogiques
utilisées sont inefficaces, d’autres disent que les programmes sont en cause.
- Ce sont tous des
ignorants. Vous êtes atteinte de PFT
- PFT ?
- Oui, PEDAGOGIE FRONTALE
TRADITIONNELLE. Comment se manifestent les troubles ?
- Arrivés en sixième
15 % des élèves ne savent pas lire.
- Justement, la PFT.
- Oui, mais 15 % ne
savent pas non plus écrire.
- Justement, la PFT.
- Malgré de longues
études d’anglais, les élèves français sont parmi les pires élèves européens.
- La PFT.
- Ceux qui
parviennent à lire et à écrire ne maîtrisent absolument pas l’orthographe.
- La PFT.
- Ils n’ont aucune
culture générale.
- La PFT.
- Oui, mais ils
sont violents envers leurs professeurs.
- La PFT.
- Ils les insultent
fréquemment.
- La PFT. Vous avez envie
que tous vos élèves réussissent ?
- Oui, monsieur.
- La PFT. Est-ce que vous
avez aussi envie que vos élèves soient instruits ?
- Oui, monsieur.
- La PFT. Est-ce que vous
pensez que les connaissances sont un moyen pour devenir un citoyen
éclairé.
- Oui, monsieur.
- La PFT, la PFT, la PFT.
- Monsieur, est-ce
que c’est grave ?
- Oui, c’est très grave.
- Mais, qu’est-ce que
c’est au juste ?
- …. c’est mal.
- Qu’est-ce qu’il
faut faire ?
- Petits groupes,
projets, tutorat, petits groupes, projets, tutorat.
- Mais encore ?
- Innovation, innovation,
innovation.
- Pourquoi ?
- Parce que ce qui est
nouveau est bon.
- Mais petits
groupes, projets, tutorat, ce n’est pas nouveau...
- Mais c’est bon pour
vous.
- Pourquoi ?
- Parce que.
Voilà désigné, une fois de plus, la responsable de l’échec scolaire
français : la PFT ou pédagogie frontale traditionnelle. Nous connaissons
la chanson et les paroles depuis plusieurs décennies. Néanmoins, personne ne
semble être gêné que l’on ne parle jamais vraiment de la coupable : la
PFT. Qu’est-ce c’est ? En quoi cette pratique consiste-t-elle
réellement ? Ensuite, que lui est-il reproché ? Comment
parvient-on à la conclusion qu’elle est à l’origine de cet échec massif ?
Quelles enquêtes et études et observations l’ont montré ? S’il en existe
vraiment, alors il aurait fallu interdire cette pratique depuis bien longtemps,
de la même manière qu’on interdit les médicaments dangereux.
En fait, dans les classes réelles de France et de Navarre, la PFT n’existe
pas. La pédagogie traditionnelle (= celle d’avant l’École Nouvelle) n’existe
plus. Elle a été remplacée depuis bien longtemps par le constructivisme, sous
ses diverses formes. Si les auteurs du rapport s’étaient rendus dans de
véritables écoles et dans de nombreuses écoles, ils l’auraient su. La majorité
écrasante des enseignants de primaire use et abuse du constructivisme, dont on
voit directement les méfaits dans les classes. Observations qui sont
corroborées par les enquêtes et études de grande ampleur. Que l’on m’explique
pourquoi le rapport, qui prétend vouloir s’appuyer sur les études scientifiques
et sur les dernières avancées de la recherche en éducation, ignore les
résultats de ces études-là qui pourtant font consensus dans le milieu
scientifique ? Je n’en citerai qu’une, et non des moindres, celle de Kirschner, Sweller et Clark. Je remarque également que l’on
ne parle plus de pédagogie traditionnelle, mais qu’on a adjoint à cette
dénomination l’adjectif frontal, comme pour en accentuer le caractère
néfaste. C’est peu dire que ce terme a une connotation négative, mais cela est
tellement évident qu’il n’est nul besoin de l’expliquer. Et il vaut mieux pour
les auteurs car ils en seraient bien incapables.
Quant aux solutions préconisées pour guérir ce supposé mal infâme, ce sont
toujours les mêmes : innovation, tutorat, projets, travail en petits
groupes. Puisque le ministère a annoncé son intention de s’appuyer sur la
recherche, j’attends avec fébrilité les études qui me persuaderont de
travailler ainsi. La recherche n’a pas attendu l’actuel ministère de
l’Éducation : les données probantes sont là, depuis de nombreuses années
et elles sont unanimes. Parmi ces « autres pédagogies » mentionnées
par le rapport, l’enseignement explicite figure en bonne place, mais,
curieusement, les auteurs ont dû sauter un chapitre… Enfin, j’ai hâte que l’on
m’explique en quoi le principe d’innovation en soi a un rôle à jouer en matière
d’efficacité en enseignement. Je ne voudrais pas sombrer dans le pessimisme,
mais quelque chose me dit que l’on va ressortir les vieilles lunes
constructivistes (qui sont loin d’être innovantes), pour les redorer au vernis
de quelques pseudo expériences menées sur une petite dizaine de classes par des
militants, pour les vendre ensuite comme vérités universelles aux enseignants.
Bref, rien de nouveau sous le soleil.
Redorer
le blason du constructivisme
Une fois identifié le responsable de l’échec scolaire massif et persistant
(la PFT), vient le temps de la proposition. Je me suis donc penchée sur ce qui
concerne l’enseignement primaire.
« Intégrer les démarches croisées de champs disciplinaires
multiples », voilà une première « mesure concrète ».
Une autre consiste à « amener l’élève à la compréhension de ce qui
fonde le dénominateur commun des disciplines, en l’initiant notamment à
l’épistémologie et à la démarche scientifique et en multipliant les projets
pluridisciplinaires qui permettent d’ausculter une thématique sous différents
prismes et d’intégrer la complexité dans le raisonnement. »
Que l’on se rassure ce n’est pas du blabla, un exemple vient illustrer la
phrase : pour étudier l’eau on l’envisagera sous ses multiples aspects,
physique, économique, géographique etc… Je crois que cela s’appelait autrefois
la transdisciplinarité. Les enseignants du collège vont certainement s’en
réjouir. Nous attendons donc impatiemment les études qui nous montrent que
transdisciplinarité et utilisation de la complexité dans le raisonnement
permettent de meilleurs apprentissages.
Par ailleurs, soyons honnête, parmi ce fatras d’archaïsmes se prétendant
nouveautés, il faut ajouter à cet enseignement celui de « nouveaux
registres de connaissances et de savoirs » devant « acquérir leur
légitimité à l’École »… [roulement de tambour] Il s’agit des life
skills ou compétences de vie. Ce sont un ensemble de compétences
psychosociales et interpersonnelles permettant de gérer les problèmes
quotidiens ; l’Unicef s’y est beaucoup intéressée.
En 2008, un article
de Xavier Roegiers en fait mention en expliquant qu’elles « constituent
l’un de ces nouveaux paradoxes qui caractérisent les systèmes éducatifs
aujourd’hui : ils sont tout à la fois les vecteurs d’une citoyenneté
universelle porteuse des germes du « vivre ensemble », mais ils forment aussi
un code de conduite normatif dans une perspective planétaire d’uniformisation.
Dans les curriculums, ces life skills deviennent donc ce que chaque système
éducatif en fait : une manière d’envisager la vie à l’école, un tremplin pour
le développement de l’élève, un enrichissement des apprentissages, mais parfois
aussi tout simplement de nouvelles connaissances à assimiler. L’introduction de
cette nouvelle catégorie de contenus dans les curriculums reflète une autre
conception de l’approche par compétences que l’on peut qualifier d’approche
“Nations Unies” (PNUD, UNESCO, UNICEF…). Dans cette conception, le concept
central est le concept de “life skill” ».
Toujours dans le même article, des exemples de ce que peuvent être ces life
skills à l’école : « la coopération, la tolérance, la prise
de décision responsable, le respect de l’environnement, la préservation de sa
santé et de celle d’autrui… Bref de tout ce qui contribue au “vivre
ensemble” ».
Le problème posé par ce genre d’enseignement est connu sous le terme de
formalisme pédagogique. Il est certes utile d’apprendre aux élèves à raisonner
et à développer leur esprit critique mais il est néfaste et
contre-productif de le faire au détriment des contenus, en faisant passer au
second plan leur enseignement. C’est la dérive courante qui tourne vite au
dressage, au formatage des esprits. Elle a d’ailleurs été fortement critiquée
et argumentée par les travaux de Hirsch ou D. Willingham [1]
qui montrent par exemple que l’esprit critique ne peut s’acquérir que dans le
cadre de connaissances déjà solidement acquises. Il eut été de bon aloi que le
rapport présente ce genre de mise en garde, sans quoi les mêmes causes
produiront les mêmes effets.
Le rapport propose que les life skills constituent un enseignement
à part entière, intégré au programme, et enchaîne habilement sur « l’ensemble
des relations entre savoirs, connaissances et actions » qui ne peuvent
s’exprimer pleinement que dans une approche par compétences, permettant de
« donner sens aux apprentissages en liant savoir et action ».
L’approche par compétences a eu un tel succès qu’il est légitime de la
revendiquer à nouveau dans des phrases aussi creuses que ne le sont les idées
qu’elles véhiculent.
Mais, une fois n’est pas coutume, soyons optimiste, et attendons les données
probantes de ces “nouvelles” orientations, qui sauront sans aucun doute nous
convaincre de leur bien-fondé. Après tout, le ministre n’a-t-il pas écrit : « La pédagogie doit être attentive aux
travaux de la recherche. »